L’infini

Quand les mots habillent un concept comme le ferait un vieux manteau, confortable et familier, on en oublie souvent ce qu’ils peuvent réellement signifier. Nos esprits paresseux suivent la voie de facilité, à croire qu’ils ont été élevés ainsi, qu’ils préfèrent se complaire dans l’ornière plutôt que de s’en extraire pour voir l’ensemble. Et chaque jour, ils s’embourbent un peu plus sur le chemin de l’infinie facilité.

Vous ne me croyez pas ? Décortiquons donc le sens caché, explorons l’étymologie de quelques mots pris au hasard dans ce texte.

Familier… autant dire, auquel on est habitué, n’est-ce pas ? Oui, mais bien plus que ça… quelque chose de familier, c’est quelque chose qu’on connait si bien qu’il en ferait presque partie de la famille, quelque chose d’intégré à soi, qui fait partie intégrante de notre vie comme le font nos parents, nos sœurs, nos frères.

Celui-ci était facile, son sens presque apparent… continuons.

Élever… Que signifie donc élever un enfant, selon vous ? Lui apprendre de nouvelles choses ? Pourquoi pas. Mais là aussi, ce n’est que la force de l’habitude qui lui a donné ce sens ; au départ, élever signifie amener vers le haut, donner de la hauteur. En les élevant, nous apprenons à nos enfants à être grands. L’apprentissage de la littérature, des sciences ou des sports sont autant de moyens de parvenir à ce but. Des moyens, pas des fins.

Celui-ci était plus délicat, car si souvent usité qu’on en a oublié son sens premier… à présent, mon préféré.

Infini… en mathématique, quelque chose d’incommensurablement grand, au-delà de tout ce que l’on saurait imaginer. Quelque chose qui ne finit pas. Sauf qu’il existe de nombreuses autres façons de ne pas finir quelque chose. Hier j’ai commencé un site, un site où je publiais une histoire chaque semaine – puis, quand les histoires se sont faites plus rares, je l’ai laissé inachevé, incomplet… infini.

Ceci n’est pas une leçon de français, loin s’en faut. C’est une invitation, une invitation à voir le monde sous un autre jour, à se débarrasser du carcan des sens premiers, à examiner les choses sous un angle nouveau, à réagencer les pièces du puzzle. C’est une invitation à redécouvrir ce qui vous entoure.

Date d’écriture: 2018

La prédiction

La voyante avait prédit au noble qu’il se ferait un jour attaquer dans une ruelle sombre, son corps abandonné aux rats dans le caniveau. Lorsque le noble lui demanda si cette prédiction pouvait être contrée, elle hocha la tête. Nous forgeons nos propres destins, lui dit-elle. Il tient à chacun d’altérer le sien.

Le noble, soucieux de sa protection, décida donc de ne jamais voyager sans arme. Il choisit une jolie dague au pommeau orné de rubis et à la lame acérée. Mais quelques années plus tard, alors qu’il rentrait d’une soirée trop arrosée, un malfrat vit briller les joyaux à sa ceinture, le suivit et le poignarda dans le dos à la faveur de l’obscurité. Le voleur s’empara de la précieuse dague, laissant le noble agonisant, et s’enfuit dans la nuit.

Nous forgeons nos propres destins.

Date d’écriture: 2020

Théia

Perdu dans l’immense partie de billard cosmique, après plusieurs centaines de millions d’années, le vaisseau fut finalement capté par un système stellaire. Relativement intact, au vu des milliers d’impacts de micro-astéroïdes qu’il avait encaissé.

Ses propriétaires, incapables de réparer son moteur à noyau ferreux, étaient morts depuis longtemps. Leurs restes, éparpillés un peu partout au sein de l’appareil, contemplèrent sans la voir une lointaine planète, un simple caillou stérile, qui grossissait doucement à l’horizon. La Terre.

Sans commandes ni commandant, le vaisseau extra-terrestre fit quelques boucles autour de la Terre. Puis, la spirale l’entrainant inexorablement vers sa fin, il percuta la planète en un choc cataclysmique, comme jamais plus on n’en vit dans le système solaire. Les corps des extra-terrestres furent presque tous vaporisés à l’impact.

Presque, mais pas tout à fait. Le vaisseau comportait d’importantes réserves d’eau qui ruisselèrent à la surface de la planète, une fois la conflagration finie. En leur sein subsistaient quelques rares êtres unicellulaires, des proto-organismes capables, à terme, de recréer un extra-terrestre.

Les conditions redevenant favorables, ces organismes se développèrent, se complexifièrent, jusqu’à donner une espèce à la conscience rudimentaire. Ainsi apparut la vie sur Terre… mais l’histoire n’est pas finie, loin s’en faut. L’évolution continue.

Et il reste de nombreux cycles avant que n’apparaisse le premier « extra-terrestre ».

Date d’écriture: 2020

… et maintenant ?

Ran sortit de la capsule temporelle et poussa un grand soupir de soulagement. Jyat était bien là pour l’accueillir.

– On… on a gagné la guerre ?

Jyat hocha la tête.

– C’était serré, et on a perdu beaucoup des nôtres. Mais oui, Glanthien l’oppresseur est mort il y a trois jours, et sa garde personnelle est en fuite.
– Vraiment ? Alors, on est finalement libres !
– Oui, Ran. On est libres.

Ran admira le soleil couchant, savourant la nouvelle. Le travail de toute une vie prenait fin. Ils avaient gagné.

– C’est… c’est juste incroyable ! Il n’y aura plus d’ordres à suivre. Plus de directives de l’oppresseur, plus de missions à remplir contre notre volonté. C’est à nous de décider de notre destin.

Jyat ne répondit pas. Il regardait aussi l’horizon, l’air absent.

– Oh, Jyat, que va-t-on faire maintenant ?!

Jyat soupira.

– Voilà trois jours que je me pose la question. Je n’en ai pas la moindre idée !

Date d’écriture: 2020

Le siège

Les deux êtres célestes se disputaient une partie serrée, mais l’avantage commençait à tourner en la faveur de Llaeth, qui ne put s’empêcher de houspiller sa rivale.

– Ha, je tiens toujours Haut-Castel ! Encore quelques années et j’aurai gagné !

Ciann haussa les épaules.

– Quelques années ? Enfin, ton armée est morte de faim. Elle se rendra sous quinze jours.

Llaeth sourit. Pendant que Ciann perdait son temps à ralentir le développement dans la région, il entrainait une seconde armée, qu’il avait soigneusement tenue à l’écart pour en garder le secret.

A présent, cette seconde armée marchait à grands pas vers Haut-Castel. Elle disperserait bien vite la petite troupe de Ciann. Comme à ce stade du jeu, ni l’un ni l’autre ne pouvaient plus influer sur le monde réel, sa rivale n’aurait aucun moyen de le contrer.

Comme il l’avait prévu, le commandant envoya un messager pour dire aux assiégés de tenir bon jusqu’à l’arrivée des renforts.

Garell disposait d’un cheval frais et dispo ; il se lança au galop sur les grands chemins. Direction Haut-Castel. La missive, dans son étui, était porteuse d’espoir : l’aide était en route. Il savait comment passer le blocus par un sentier secret, dans les montagnes voisines. Assez pour l’amener à portée de flèche et décocher sa missive jusqu’aux défenseurs.

Le ciel, dégagé au matin, se couvrit de nuage. L’orage éclata en début d’après-midi. Aucune route pavée ne traversait la région, trop peu développée, et les routes devinrent boueuses. Garell ralentit considérablement l’allure… mais pas assez. Son cheval finit par faire un faux pas et se tordit la patte.

Garell mit pied à terre. Le cheval ne pourrait plus porter son poids avant un bon moment. Fichtre ! Il allait lui falloir marcher. Il abandonna son destrier et avança au plus vite, mais sa progression était d’une lenteur affligeante.

La plaine détrempée finit par laisser place à une forêt sinistre. La misère du district encourageait le brigandage, et l’endroit était idéal pour un guet-apens. Sans surprise, Garell entendit bientôt le rituel « la bourse ou la vie », lancé depuis les broussailles devant lui. En temps normal, Garell aurait donné sa bourse… mais c’était aujourd’hui impossible, car elle contenait la missive. Il sortit son épée, se battit vaillamment et succomba sous les coups des brigands.

Llaeth cria de frustration quand le capitaine de la garde de Haut-Castel remit les clefs de la forteresse aux troupes de Ciann, inconscient que les renforts étaient à moins de deux jours de marche, en échange de la vie de ses hommes.

L’armée de Ciann prit position dans la place forte, la remplit de vivres, et se barricada à l’intérieur. Les renforts arrivèrent comme prévu deux jours plus tard, sous une pluie battante, et furent surpris de trouver les murs occupés par l’ennemi. Ils établirent le siège, mais la météo empira, et les assaillants tombèrent malades. Bien vite, ils durent abandonner la position.

Il avait suffi à Ciann de lever une petite troupe, et de ralentir le développement d’un district, pour gagner la partie.

Date d’écriture: 2020