Le voisin idéal

Monsieur Martin était aussi proche que possible du voisin idéal. Toujours poli, toujours le sourire, toujours prêt à donner un coup de main pour porter les courses, tenir la porte ou dépanner de quelques œufs.

Il était universellement apprécié dans tout le quartier, aussi furent-ils tous choqués quand la police frappa à la porte de monsieur Martin pour l’emmener en prison.

On avait retrouvé les cadavres de quatre femmes dans sa cave. Monsieur Martin, ce condensé de gentillesse, était en réalité un serial killer.

Date d’écriture: 2020

Les derniers immortels

Le soleil baissait à l’horizon. Son flamboiement baignait les lieux d’une ambiance irréelle, apocalyptique. De cet univers clair-obscur, une constante se dégageait. L’absence.

Nulle lumière artificielle, nulle trace d’activité humaine, où que porte le regard. Juste des statues renversées, brisées, moquant l’ego démesuré des hommes qui s’étaient crus immortels. L’éternité promise s’était figée, tandis qu’ils croisaient un à un le regard de la Créature.

Caleb inspira, laissant l’odeur d’ozone envahir ses poumons. Il se laissa aller en arrière, goutant un instant le calme ambiant. Pour le moment, il était à l’abri. La Créature avait été aperçue quelques jours plus tôt dans les ruines de Boston, rayant Jill de la liste des derniers survivants. Il avait quelques jours, au moins, avant qu’elle ne vienne le chercher. A moins qu’elle ne préfère passer par la Russie et pétrifier Alyona en premier ?

Il se demanda fugacement à quoi ressemblait la Créature. Nul ne l’avait jamais vue, bien sûr – du moins, pas sans le payer au prix de sa vie. Aurait-il le courage de la regarder dans les yeux, le moment venu, comme elle le transformait en statue ? En tous cas, il n’avait pas l’intention de chercher à lui échapper.

Il sourit de dérision en repensant à sa dernière conversation avec Jill. Il lui avait dit… il avait dit qu’il était las de cette fuite sans fin, qu’il comptait profiter de ses derniers moments, qu’il renonçait à vaincre la Créature. Jill l’avait traité de lâche. Elle avait crié qu’elle lutterait jusqu’au bout pour la survie de la race humaine, que c’était leur devoir à tous les trois.

Elle s’était réfugiée dans un bunker antiatomique. Elle avait piégé le chemin d’accès de son mieux, y avait même placé plusieurs bombes nucléaires. Mais la Créature l’avait tout de même rattrapée. Pauvre Jill.

Et maintenant ? Lui ou Alyona ?

Dur à dire. La Créature avait toujours agi de manière imprévisible en traquant les derniers humains. Il était, à vrai dire, chanceux d’être encore en vie. Quelques années plus tôt, la Créature était passée juste devant lui sans s’arrêter. Elle avait tué le reste de son groupe. Il les entendait crier tout en gardant les yeux résolument fermés, priant quelque dieu oublié de lui venir en aide. Et la Créature l’avait épargné. Pourquoi ? Impossible à dire.

Le soleil couché, la fraicheur tomba sur lui. Il rentra et se prépara une tasse de café, pensant à ce que devait ressentir Alyona. Il l’appellerait demain, pour lui parler une dernière fois. La Créature venait pour l’un d’entre eux.

Serait-il le dernier ? Devrait-elle porter ce fardeau ?

Il y songea un instant, puis haussa les épaules.

Ils le sauraient bien assez tôt.

Date d’écriture: 2020

Humaine ?

Stephen était ivre mort.

A la sante des humaines… des… des vraies humaines ! Pas de ces saloperies de synths ! »

Et il lança son verre vide sur le visage humanoïde de la serveuse synthétique. Le synth-videur regarda vers nous et pointa sa main mécanique sur Stephen.

Vous, là. Dernier avertissement. Encore un problème et je vous fous dehors. »

Eh merde…

OK, Stephen, si tu veux qu’on puisse un jour se remettre une cuite dans ce bar, faut que tu te calmes ! »
Tu vois pas, Xander ? Tu vois pas ?! Ils nous piquent nos boulots, ils décident pour nous si on a le droit ou pas de boire dans ce bar… nous, les biologiques, on n’a plus notre mot à dire sur rien. Ils sont en train de nous foutre dehors, et un jour, ils… un jour, ils vont tous nous remplacer, tiens ! »

Stephen en savait quelque chose. Il venait de perdre son boulot au profit d’une batterie de nouveaux synths, plus rapides, moins couteux, bref, supérieurs.

D’ailleurs, Xander, maintenant c’est plus possible de différencier les synths haut-de-gamme des humains. Si ça tombe, tu as déjà parlé à des tas de ferraille sans même t’en rendre compte ! »

Je haussais les épaules. Sans doute. Quelle importance ? Humain, synthétique… seule compte l’interaction.

Et c’est pas tout, Xander, mon pote. Toi, je sais que tu es humain, parce qu’on a grandi ensemble. Mais dans notre entourage, il y a peut-être des synths qu’on prend pour nos amis ! »

Je ris doucement.

C’est ça, et p’t’être même que ma petite amie est une synth, pendant que tu y es ? »

Stephen hocha la tête, avec un aplomb et un excès total de confiance que seul l’alcool pouvait expliquer.

Ouais, p’t’être bien. »

Devant mon air dubitatif, il enchaina.

Attends, attends… ça fait combien de temps que tu connais Jenny ? Un an, par-là ? »
C’est ça. »
Ben voilà. Ça pourrait carrément être une synth. »
Tu es au courant qu’elle et moi, on fait l’amour régulièrement ? Que je l’ai déjà vue se couper et saigner ? Qu’elle pèse pas plus d’une soixantaine de kilos ? »

Stephen hocha la tête.

Alors déjà, les synths prostitués, ça existe depuis un bail. Pis ça doit pas être trop dur de mettre un réseau sanguin dans un synth pour lui donner l’air plus humain. Et avec les derniers alliages, ils ont vachement allégé le poids des synths, alors soixante kilos… ouais, pourquoi pas ? »
Mais enfin, les expressions du visage, la fluidité des mouvements… »

Stephen rit.

On peut falsifier des heures de vidéos avec l’intelligence artificielle, mais reproduire des expressions de visage, c’est pas possible ? Allez Xander, tu sais bien que c’est très, très facile pour eux de nos jours. C’est plus comme quand on était enfants ! Maintenant ils pourraient être partout, ces putains de synths ! »

Visiblement, Stephen avait crié un peu trop fort. Ou peut-être que le videur en avait marre de nos tronches. Il nous saisit par le col et nous flanqua manu-militari dehors sur le pavé.

Super, bien joué Stephen. Ecoute, je sais que tu en baves ces temps-ci, mais calme toi un peu avec les synths, OK ? »

Je pris le train à propulsion électromagnétique pour rentrer. A l’appartement, Jenny dormait. Comme je me lovais contre son corps tiède et doux, elle se retourna et grogna.

Hhmmmm… il est quelle heure ? »
Tard. Dors, mon amour. »
Mmm-mmmmmmmmm… c’était bien avec Stephen ? »
Pas facile. Il s’est tellement bourré la gueule qu’on s’est fait jeter du bar. Et il racontait des trucs bizarres, sans queue ni tête. »
Oh ? »

Je ris doucement.

Ouais… au fait, rassure-moi, tu n’es pas une synth ? »

La surprise écarquilla ses yeux endormis.

Moi, une synth ?! »

Je l’embrassais et m’allongeais dans ses bras. Ma Jenny, une synth ?!

Ridicule. Elle était si… humaine… si parfaitement, incroyablement humaine…

Et je m’endormis.

Date d’écriture: 2020

Historia mundi

Il est né peu avant Jésus Christ. Il a tenu bon pendant que les Huns et les Goths submergeaient Rome. Il a prospéré tandis que Charlemagne se faisait couronner empereur par le pape Léon III. Il a survécu aux croisades, aux hordes de Ghengis Khan et à la chute de l’empire aztèque. Il est resté inébranlable tout au long des guerres d’indépendance et de sécession, puis pendant les première et seconde guerres mondiales.

Et puis un beau jour, un crétin a mal éteint son mégot de cigarette et la forêt s’est embrasée.

Alors seulement, le grand séquoia est tombé, entraînant dans son sillage deux millénaires de l’histoire humaine.

Date d’écriture: 2020

Sens unique

Dès que mes yeux se sont posés sur toi, je t’ai aimée. Mes amis m’ont dit d’aller te parler, que ça ne pourrait qu’être réciproque. Mais tu es restée de marbre.

Mes amis m’ont conseillé de te faire la cour, et je t’ai courtisée. Tu as poliment accueilli mes avances, sans coeur ni passion.

Mes amis m’ont dit qu’une fois mariés, en se cotoyant tous les jours, les sentiments naîtraient. J’ai demandé à ton père l’autorisation de prendre ta main, et j’ai préparé une cérémonie somptueuse. Tout du long, ton sourire est resté froid, distant.

Les années sont passées, nous avons eu des enfants. Eux, tu les as aimés de tout ton coeur. Mais jamais tu ne m’as regardé avec une telle étincelle dans les yeux.

Le temps continuant son oeuvre, nous avons vieilli. Côte à côte, mais pas ensemble. Mon amour n’a jamais été qu’à sens unique. Et maintenant, au soir de ma vie, je dois me rendre à l’évidence.

Mes amis sont des crétins. Et moi plus encore pour les avoir écoutés.

Date d’écriture: 2020