Le forgeron

Le forgeron donnait les touches finales à sa lame, polissant avec application les minuscules aspérités restantes. Une épée simple mais de bonne facture, typique de cette partie du monde, sans rien de particulier. En apparence.

Quelques jours plus tard, cette épée fut vendue à un marchand ambulant, qui caressait l’espoir d’en tirer un bon profit dans la cité voisine. Au marché, un voleur déroba l’épée. Elle atterrit sur le marché noir et changea plusieurs fois de propriétaire, le plus souvent de manière sanglante. Elle quitta finalement la ville au flanc d’un truand de bas étage, qui se trouvait recherché par la garde et préférait prendre un peu l’air.

Le truand écuma quelque temps la campagne aux côtés de bandits de grands chemins. Ils attaquaient les villages alentours, ciblant les commerces les plus lucratifs. Et c’est ainsi que l’épée retrouva le chemin de la forge.

Quand elle s’abattit sur son créateur, il reconnut son œuvre et hocha imperceptiblement la tête. Il avait forgé sa propre chute.

Date d’écriture: 2020

Comment ça se termine ?

On est nés dans les gorges d’Olduvaï. On a appris, on s’est dressés contre nos ennemis, unis pour survivre. Et pas à pas, on a conquis le monde. Maintenant… maintenant, il n’y a plus d’ennemis. Plus que nous-mêmes.

Alors, **nous** sommes devenus l’ennemi. A défaut de tuer les autres, on se tue nous-même. Une formidable boucherie. Et maintenant ? Comment ça se termine, tout ça ?

Est-ce un équilibre stable, les morts étant perpétuellement remplacés par les nouveaux-venus ? Ou y aura-t-il une catastrophe majeure qui nous balaiera une fois pour toute – apocalypse nucléaire, changement climatique, pandémie majeure, choisissez votre poison… Va-t-on se trouver de nouveaux ennemis, qui nous détourneront de nous-mêmes ? Progressivement évoluer, peut-être, jusqu’à devenir quelque chose de… différent, de moins humain ? La technologie produira-t-elle cette singularité annoncée de longue date, causant, selon le prophète qu’on choisit d’écouter, la perte ou la salvation d’Homo sapiens ?

La question n’est, de toute évidence, pas purement académique. Alors, comment ça se termine ? Pas sûr. Notre avenir est entre nos mains, à nous de lui donner forme.

Date d’écriture: 2020

Au-delà

Les dryades prétendent qu’à quelques milliers de kilomètres au nord-ouest-bas, l’Arbre-Monde se termine, que ses branches disparaissent progressivement pour laisser place à un vide étrange, inconcevable.

Longtemps, j’ai cru qu’il ne s’agissait que du délire d’esprits dérangés, torturés par la toute-puissance de l’Arbre nourricier. Mais voilà. Il y a quelques mois, je suis allé en reconnaissance aussi loin que je le pouvais vers l’est-haut, et j’en ai vu un, moi aussi. Un trou dans notre univers, un espace de néant absolu où n’apparaissait que du bleu, parsemé ici et là de zones blanches indistinctes et mouvantes.

J’ai gardé cette information par devers moi. Le Conseil Arboricole me tuerait si je répandais de telles hérésies. Mais pourtant… mes sœurs et frères sylvains doivent savoir. Ils doivent savoir que, malgré son apparente omnipotence, le pouvoir de l’Arbre-Monde n’est pas absolu, qu’il s’arrête quelque part. Ce qu’il y a aux confins, même en l’ayant vu, je ne peux l’appréhender. Peut-on se mouvoir dans ce néant bleu ? Les zones blanchâtres sont-elles les âmes de ses rejetons, des âmes si mauvaises que l’Arbre-Monde lui-même les a rejetées ?

Il me faut à tout prix le découvrir. J’ai besoin de preuves. Je pars demain pour retrouver cette déchirure dans notre univers, pour l’étudier. Je laisse néanmoins cette feuille derrière moi, pour qu’elle pousse et délivre la vérité à ceux qui sont prêts à l’entendre. Ainsi, si je venais à mourir lors de mon périple, ma découverte ne disparaîtrait pas avec moi.

Parce que je n’ai aucune idée de ce que je vais découvrir au-delà de notre univers.

Date d’écriture: 2020

Le silence

Non, mais il m’a hurlé dessus parce qu’il est stressé, maintenant c’est à moi d’être forte et d’être à ses côtés pour le rassurer. Et pas question d’en parler à ma copine Sophie, déjà qu’elle l’aime pas, elle va en faire tout un plat si je lui raconte ça.

Non, mais il m’a tapé juste une fois parce qu’il était jaloux, parce qu’il m’aime en fait, et puis il m’a dit qu’il ne recommencerait jamais plus ! Faut que je cache le bleu d’ailleurs, sinon il va avoir des ennuis si ça se sait.

Non, mais il m’a tabassé parce qu’il a des démons intérieurs, il n’y a que moi qui peut l’aider, il me l’a dit lui-même, il va faire une connerie si je suis pas là pour le soutenir. Par contre, les autres ne peuvent pas comprendre, faut surtout que je dise rien autour de moi, ils le prendraient pour un fou.

Non, mais c’était juste un crime passionnel, il m’a balancée dans les escaliers pendant un accès de rage. Personne n’était là pour moi, mais au fond… qui aurait pu imaginer ?

Je n’ai jamais rien dit à personne.

Date d’écriture: 2020
Aux victimes de violences conjugales.
Vous ne le savez peut-être pas, mais vous n’êtes pas seul.es !

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