Les îles

Nous sommes tous des îles – notre esprit est isolé, inaccessible à ceux qui nous entourent. D’où me vient cette citation? Sais plus. Pourquoi j’y pense? Hhmmm…

Voilà deux heures que j’observe cette fille du coin de l’œil. Elle me plait. Elle fait naître une myriade d’idées vagabondes dans ma tête. Ce que ce serait de prendre sa main. De l’embrasser. De lui faire l’amour. De rencontrer ses amis. Sa famille. D’emménager ensemble. De se marier, peut-être. Les pleurs de notre premier enfant. L’achat de notre maison. Les enfants qui grandissent. La vie, douce et joyeuse, jusqu’à ce que ma mort nous sépare (les femmes vivent généralement plus longtemps, non?).

Et… et elle, à quoi elle pense? Est-ce qu’elle a aussi ce genre de fantasmes? Est-ce qu’elle pense aussi à moi, coincée dans cet avion juste à mes côtés, sans oser elle non plus m’aborder? Ou pense-t-elle au grand amour de sa vie, celui qui l’attend au bout du voyage? A son dernier coup d’un soir? A ce qu’elle mangera ce soir, entre une pizza ou des pâtes? A ses problèmes au boulot?

Des îles? Tu parles. Des coffres forts fermés à double tour, sans aucun indice sur leur contenu. Un seul moyen d’entrer: commencer par entrouvrir son coffre-fort, un peu, et voir si en réponse l’autre entrouvre le sien, un peu. Si le courant passe, si la confiance s’établit. Un pas après l’autre sur la route sinueuse des relations humaines.

Bon. Commençons petit. « Excusez-moi de vous déranger, madame, est-ce que je peux vous demander ce que vous lisez? Ah, le Petit Prince. J’ai dû lire ce livre une demi-douzaine de fois, il y a tant de niveaux de lecture. Vous aussi? C’est fou. Et qu’est-ce que vous pensez de… »

Va doucement. Un pas à la fois. Peut-être, peut-être qu’avec du temps le renard s’apprivoisera…

Date d’écriture: 2016

renard
Crédits image: Schmidsi

A la recherche du bonheur

J’ai six ans. Je mange de l’aile de raie grillée sur une plage, quelque part en Tunisie. Les pêcheurs, superstitieux, ne touchent pas à ce poisson dont le dessin rappelle une tête de mort. Mais ils prennent plaisir à voir le gamin, dévoré par la curiosité, qui rôde autour de leurs bateaux.

Je joue aux échecs contre mon cousin. Je le battais généralement étant enfant, mais cette fois les rôles sont inversés ; sa maîtrise de l’échiquier est évidente et mes pièces tombent l’une après l’autre. Je ris quand arrive l’échec et mat. C’était une très belle défaite, et j’ai hâte de discuter des techniques qu’il a utilisées contre moi.

Des verres s’entrechoquent dans ce bar dont le nom m’échappe. On parle de tout et de rien. Une musique latino joue en arrière-plan, et d’un seul coup tout le monde se lève pour danser. Elle colle ses hanches contre les miennes, et la suite se perd dans une ivresse qui ne doit rien à l’alcool.

Je m’assois sur les pentes du Mont Royal, au milieu des djembés et des duellistes, et décide que je suis tombé amoureux de l’accent québécois. Mais chut ! Comme le dit un ami, « c’est pas mouai qui ait un acceint, c’est touai ! » (oui, la question peut être assez sensible là-bas).

La maternité en Californie. Je tiens mon nouveau-né dans les bras, et l’émotion me submerge. Je… je… non, les mots sont décidément impuissants à décrire ce que j’ai ressenti ce jour-là. La maternité encore, quelques portes et quelques années plus loin. Je ne vais pas vous ennuyer avec des redites : je ne suis pas plus capable de retranscrire cet instant que la première fois, même si je le voulais. Et je n’y tiens pas. Ce moment est et restera mien.

Je quitte les planches sous des applaudissements nourris. Une incroyable année condensée en quelques heures. Trop tôt à mon goût, le public quitte les lieux. On se retrouve entre nous dans la fosse du théâtre, à boire du champagne dans des gobelets en plastique qui trainaient là. Je me sens euphorique, électrisé. Et épuisé, aussi.

L’orage se calme, un rayon de soleil perce soudain les nuages. Un léger vent m’amène l’odeur de l’herbe mouillée. Au loin, le Ben Lomond apparait progressivement, ses sommets enneigés se reflètent dans les eaux argentées du plus beau Loch au monde. Je savoure simplement l’instant avant de commencer l’ascension.

Je me lève le matin et je me rends compte qu’après de nombreux mois de galère, je suis juste heureux. Ça valait le coup d’en passer par là, les bons comme les pires moments, pour finalement retrouver le moi léger, joyeux, que j’avais mis en sommeil. Un sourire effleure mes lèvres. Et si j’écrivais dessus ?

Voilà. C’est ça, pour moi, le bonheur. Une collection de moments, éphémères, insaisissables, petits ou grands, qui ne peuvent que se vivre avant qu’ils ne nous filent entre les doigts. Je ne cherche plus à les retenir. Les meilleures choses arrivent spontanément.

Date d’écriture: 2017

Se questo è un uomo

Devant chez vous, il y a peut-être un SDF qui fait la manche tous les jours. Cet homme a-t-il un nom ? Une histoire ? Un visage ?

On est tous quelqu’un. On a eu des parents. On a eu des rêves. Et puis on a grandi et on s’est confronté à cette putain de vie. Certains ont tiré le bon numéro. Cet homme devant chez vous, sans doute pas. Ou alors sa chance a un jour tourné. Mais il n’est surement pas arrivé là par choix.

Juste pour que ce soit clair, ce n’est pas votre faute si les choses ont mal tourné pour lui. Pas la peine de culpabiliser d’avoir mieux tiré votre épingle du jeu. Mais n’oubliez pas. Cet homme a un nom. Il s’appelle Julien Lauvin, et il existe. C’est un être humain, pas un meuble.

Alors pourquoi, pourquoi la plupart des gens ne lui accordent-ils pas même un regard en passant devant lui ?!

Date d’écriture: 2017

L’ascension

Un caillou dévale la pente. Collisions cristallines et cliquetis éphémères. Ses semblables le suivent dans sa course. Avalanche ? Non, déplacement symphonique. L’ensemble se stabilise. Silence à nouveau.

Ce faux pas m’a couté cher. Surtout, surtout, ne pas trébucher. Tomber, c’est mourir. Mes muscles ne me relèveraient pas. C’est déjà miracle qu’ils me soutiennent toujours.

Esquisse mentale du pas suivant. Chaque mouvement est pensé, soupesé, validé. Les ressources s’amenuisent mais l’esprit s’accroche. Même embrumé par l’asphyxie, mon cerveau cherche la survie.

Je pourrais baisser les bras et redescendre. Qui saurait ? Le supplice cesserait de suite. Tasses de café, croissants tièdes, sommeil bien mérité… il suffit juste de renoncer.

Non. Je ne cèderai pas. Qu’importe si j’y reste, je vaincrai l’Everest !

 

Date d’écriture: 2016

Le ruisseau

Devant chez moi, il y a un petit ruisseau. J’insiste sur le « petit ». En juillet, au cœur de l’été, il reste rarement plus qu’un maigre filet d’eau. N’empêche, je me suis renseigné. Ce filet d’eau se jette dans un ruisseau à peine plus gros, qui se jette lui-même dans une petite rivière, qui se jette elle-même dans un fleuve, qui se jette lui-même dans l’océan. Ce qui fait que, du pas de ma maison, je suis relié au monde entier par ce minuscule filet d’eau. Et ça, pour moi qui n’ai jamais quitté mon petit village, c’est important. Un jour, oui un jour, il faudra que je descende le ruisseau, et on verra bien où son courant me mène. Tout plutôt que de mourir où je suis né, sans avoir rien vu du vaste monde qui m’entoure.

Date d’écriture: 2016
A ceux qui n’ont jamais vu le vaste monde.
Il n’est jamais trop tard.

ruisseau