Le chevalier blanc

Le chevalier, couvert d’un sang noir et huileux, sortit du marais aux premières lueurs de l’aube. Seules quelques bosses sur son armure attestaient de la violence du combat qu’il venait de mener, et dont les échos retentissaient encore dans la tourbière. Et tous les cœurs se réjouirent, car le noble chevalier les avait enfin délivrés de la bête.

Quand il demanda le gîte et le couvert, ils l’accueillirent à bras ouverts comme il convenait pour un héros. Quand il demanda paiement pour son acte de bravoure, les villageois tirèrent sur leurs derniers deniers pour le doter d’une prime digne de ses hauts-faits. Quand le chevalier proposa de rester pour les protéger de tout nouveau mal, ils acceptèrent de grand cœur.

Quand le chevalier demanda une fille pour son bon vouloir, les paysans tiquèrent. Mais certaines jeunes donzelles étaient déjà sous le charme du champion du village, aussi ne leur demandait-on rien de contraire à leur volonté. Quand le chevalier exigea qu’on lui verse une taxe sur les affaires menées dans le village, quelques voix dissidentes s’élevèrent enfin. Alors le chevalier marcha sur ses opposants et les passa au fil de l’épée, si bien que nul n’osa jamais plus le contredire.

Et ainsi, le chevalier blanc se transforma peu à peu en chevalier noir. A ce jour, la bête rôde toujours dans les marais. Elle n’est plus de crocs et de griffes, tuant pour manger. Elle est désormais d’armure vêtue, et tue pour son bon plaisir.

Date d’écriture: 2020

Contact

Cette planète était… étrange. Pas de relief, où que porte le regard. Une étrange couche de matière gélatineuse, au sol. Aucune trace de vie, malgré la présence d’une atmosphère. Le vaisseau-mère déploya un petit module-sonde pour enquêter sur place avec, à son bord, Ed Burner.

Ed n’était pas un novice. Quand son module se posa à la surface, il commença par confirmer la composition de l’atmosphère. Elle était un peu plus riche en azote que l’atmosphère standard, complètement saturée en éléments rares (encore un détail étrange !), mais tout à fait compatible avec la vie.

La seconde action qu’entreprit Ed fut de collecter un échantillon de cette matière gélatineuse. Le bras du module se déploya, s’enfonça dans la gélatine et… resta coincé. Ed força légèrement pour le décoller, sans succès. Il n’insista pas. Au-delà, il risquait de dépasser le point de rupture du bras mécanique. Il allait falloir le déloger à la main.

Il enfila sa combinaison, descendit l’échelle, posa le pied sur le sol extra-terrestre et essaya de faire son premier pas sur cette planète. Son pied resta collé au sol. Impossible de le bouger, quelle que soit la force qu’il déploie. Il abandonna sa botte sur place – une chance que l’atmosphère soit tolérable ! – et remonta dans le module en faisant bien attention à ne pas toucher plus de gélatine.

L’heure était venue de faire le point. Il était bien entendu exclu de décoller. Le bras mécanique était complètement coincé, et sans doute également les pieds du module. Impossible aussi d’analyser la gélatine dans le module. Mais il pouvait tester la réaction de la gélatine à différents produits chimiques. A commencer par l’alliage en titane qui composait sa botte.

Il dirigea le bras-caméra vers l’échelle du module. La botte était toujours là, coincée dans la gélatine. Mais elle était complètement corrodée, au point où il était difficile de savoir que c’avait été une botte en la regardant. Impossible de voir, dans la gélatine translucide, où la matière qui composait la botte était allée. C’est comme si la gélatine avait assimilé la matière de la botte pour se reproduire.

Ed eut un frisson en comprenant. Il avait atterri sur un organisme vivant qui dévorait tout ce qui entrait en contact avec lui. Un organisme si efficace qu’il avait, petit à petit, éliminé toute compétition de sa planète d’origine. Horrifié, il déplaça le bras pour voir la base du module. Les pieds avaient été sérieusement attaqués. Dans quelques heures, la coque elle-même serait en contact avec la gélatine.

Il lança aussitôt un appel au secours, qui fut relayé jusqu’au vaisseau-mère. On lui envoya sur-le-champ un vaisseau d’extraction. Le sortir de ce mauvais pas ne fut pas chose aisée – le vaisseau d’extraction ne pouvait, naturellement, se poser sur la planète – mais l’équipe de sauvetage était expérimentée. Ils amenèrent un homme sur le toit de la sonde. L’homme découpa une écoutille au laser, puis un hélitreuil les souleva jusqu’au vaisseau de secours. Enfin, ils firent rugir les moteurs pour fuir au plus vite cette planète inhospitalière, creusant un grand cratère dans la gélatine au point de décollage.

Ed fit un rapport détaillé. On plaça la planète en quarantaine, pour que personne n’ait jamais à vivre l’horreur d’être assimilé à petit feu par la gélatine. Et Ed put enfin s’endormir, quelque peu secoué mais fier d’avoir accompli son devoir.

L’équipe de sauvetage remit le vaisseau d’extraction au service d’entretien pour une inspection et une révision de routine, comme après tout retour de mission. Mais le service d’entretien était débordé, et il plaça le vaisseau en liste d’attente. Rien ne pressait, de toute façon.

Dans la nuit, l’alerte générale fut lancée. Le pont d’entretien était recouvert de gélatine.

Quelques heures plus tôt, au décollage du vaisseau d’extraction, une minuscule gouttelette avait été expulsée en l’air et s’était accrochée à la coque.

Date d’écriture: 2020

Le pouvoir

Elle, c’est Alice. Une petite fille de neuf ans, cheveux blonds avec deux nattes et un ruban, une petite robe blanche à pois bleu foncé, et son attention entièrement prise par un jeu avec ses copines. La marelle, si je vois bien.

Moi, c’est John, et j’ai le pouvoir de décider ce qu’il adviendra de sa vie.

Je ne suis pas son professeur.

Je ne suis pas son père.

Je ne suis pas son tuteur.

Je suis un gamin de neuf ans qui s’est embrouillé avec elle.

Je suis un gamin de neuf ans qui l’a en ligne de mire, dans le viseur du fusil de chasse de son grand-père.

Date d’écriture: 2020
Aux victimes des trop nombreuses fusillades à travers le monde.

Le début de la fin

Je regardais la vaste plaine en contrebas, bien à l’abri de notre vaisseau. Gelt me salua et attendit que je lui accorde mon attention.

Explorateur Gelt, quel est votre rapport ? »

Il hésita un instant.

Ça va demander un sacré boulot, dirigeant Iann, mais… oui, la planète peut être reformée pour correspondre à nos besoins. »
Un sacré boulot ? Quel est le problème ? »
Vous voyez ces structures sous nos pieds ? »

Je dirigeais mon attention vers le sol. Il y avait effectivement, de-ci de-là, un fouillis invraisemblable de structures biologiques immobiles et indéterminables. Rien qui me soit familier, en tous cas.

Ces structures rejettent en abondance un composé hautement toxique dans l’atmosphère. Bien plus que ce que nous pouvons supporter, et même la coque de nos vaisseaux ne tiendra guère que quelques cycles si nous les exposons de manière continue. Il va falloir en purger l’atmosphère avant que cette planète ne devienne vivable. »

Purger l’atmosphère ! C’était le travail de plusieurs dizaines de cycles, au minimum. Et cela demanderait des ressources considérables. Mais au vu de la rareté des planètes colonisables dans ce secteur de la galaxie, il m’était difficile de faire la fine bouche.

Je vois… d’autres surprises de la part de cette planète ? »
Rien de particulier. Comme la plupart des planètes de ce genre, elle abrite une foule de formes de vies inférieures, dont certaines semblent même former des colonies et utiliser des outils rudimentaires. »
Des colonies et des outils ? Y a-t-il la moindre chance qu’elles parviennent un jour à la conscience ? Je ne tiens pas à me mettre le Conseil Interstellaire à dos ! »

Je sentis la dénégation de Gelt avant qu’elle ne me parvienne.

Non, dirigeant Iann. Aucune d’entre elles ne présente la moindre capacité télépathique, condition nécessaire à la conscience. »
Ces formes de vie représentent-elles un danger quelconque ? »
Probablement pas. Les colonies pourraient avoir un mouvement instinctif d’auto-défense, mais leur équipement est trop rudimentaire pour présenter la moindre menace. Pas d’armes psioniques, aucun perturbateur cortical… bref, pas de capacité de frappe mentale, si bien que nous n’avons rien à craindre de leur part. »

Rassuré, je me retournais vers la planète. Bien. Elle ferait l’affaire.

Comment comptez-vous procéder, explorateur Gelt ? »
Ce composé toxique, le dioxygène, est très inflammable. Nous allons simplement le faire brûler, ce qui détruira également les structures biologiques qui le produisent. Après quoi nous pourrons progressivement éliminer les traces résiduelles par des méthodes plus conventionnelles. »

Je hochais la tête, posais un tentacule contre la vitre du vaisseau, et pris ma décision.

Fort bien, explorateur Gelt. Lancez le projet de reformation de cette planète. Rasez tout, et virez-moi au plus vite ce truc toxique de notre atmosphère ! »

Ainsi commença la guerre entre les blobs et les humains.

Date d’écriture: 2020