Nomade

Bonjour Suzanne ! »
Oh… bonjour Marc ! »
Je vois que tu fais bosser les archives ! »

Depuis plusieurs jours, Suzanne semblait concentrée sur une série de vieux dossiers depuis longtemps classés, et j’étais curieux de savoir ce qu’elle faisait.

Je… oui. »

Prudente. Réticente à partager avec moi. Je décidais d’attaquer sous un angle plus direct.

Tu as trouvé quelque chose ? Besoin d’un coup de main ? »

Suzanne me considéra un instant, puis soupira.

Marc, tu vas me prendre pour une folle. »

Je haussais les épaules.

Dis toujours ! »
OK… tu te souviens l’affaire Marroni ? Le petit dealer que tu as arrêté ? »
Evidemment ! »
Ça m’a frappé comme il protestait avec véhémence, comme il disait que ce n’était pas lui. »
Bien sûr, ils disent tous ça. Sauf que je l’ai pris en flagrant délit avec assez d’héroïne sur lui pour faire tripper un rhinocéros. C’était lui, aucun doute ! »
Oui, oui… mais ça m’a rappelé un autre cas sur lequel j’avais bossé, le gang de Saint Just. Le chef du gang avait perdu la tête quand on l’a arrêté, il prétendait être quelqu’un d’autre. »
Ça remonte à quelques années, mais je me souviens vaguement maintenant que tu en parles. Arthur quelque chose, non ? J’avais été vérifier, je l’avais trouvé mort dans son appartement ? »
C’est ça. Du coup, j’ai fouillé dans les archives. On dirait que le même schéma s’est reproduit au moins une douzaine de fois dans les dernières décennies. »
Oh ? »
C’est comme si… »
Comme si ? »

Elle hocha la tête.

OK, je me lance. Imagine un instant que des… êtres capables d’échanger leurs corps se promènent parmi nous. Une fois de temps en temps, quand leur corps semble sur le point de ne plus être pratique pour leurs besoins, ils échangent avec quelqu’un d’autre. Genre juste avant qu’on les arrête, ou au moment de mourir… je sais que ça parait complètement cinglé, mais je n’arrive pas à expliquer autrement comment des gens sains d’esprit peuvent perdre la tête aussi brutalement quand on les coince, et tous dire exactement la même chose ! »

Je souris gentiment.

Ce serait… incroyable ! »

Pendant ce temps, je réfléchissais. Le timing devait être parfait.

Je sortis mon arme de service, droit vers mon cœur, et j’appuyais sur la détente. J’eus à peine le temps de ressentir une petite brûlure que j’occupais déjà l’ancien corps de Suzanne. Les yeux de Marc s’écarquillèrent de surprise, sa bouche forma un O parfait, et l’esprit de Suzanne mourut dans mon ancien corps.

J’allais devoir prévenir les autres âmes nomades, bien sûr. Leur demander d’être plus discrètes. Nos activités commençaient à se voir un peu trop.

Bon. Comment aurait réagi Suzanne dans cette situation ? Ah, oui. Je hurlais à pleins poumons et m’affalais au sol, apparemment sous le choc. Il allait falloir que je sois subtile. Me faire passer pour Suzanne sans trop attirer l’attention. Difficile, mais jouable. Suzanne venait de voir son collègue Marc se suicider sous ses yeux, après tout. Ça pourrait expliquer les petites différences de comportement.

Et ce serait amusant, aussi. Suzanne avait une bonne situation, un corps en pleine santé, et surtout, un mari et des enfants formidables.

Date d’écriture: 2022