Et ils vécurent heureux…

Le prince, encore couvert du sang poisseux du dragon, se pencha et embrassa passionnément la princesse. Il l’amena dans son château, ils se marièrent et eurent… attendez… non, c’est pas tout à fait ça.

Au début, ils vécurent effectivement heureux. La menace qui pesait sur le royaume avait disparu, et ils pouvaient se consacrer l’un à l’autre, corps et âme. Sauf qu’aucun héritier ne venant, le prince s’inquiéta. Le temps passant, l’inquiétude se transforma en colère. Ce n’était pas tant demander de sa femme, après tout, qu’elle enfante enfin. C’était, somme toute, sa seule et unique tâche !

Mais après des années, toujours rien. Quelque chose de sombre naissait dans le cœur du prince – que dis-je, du roi, depuis la mort de ses parents l’automne dernier. Et après une énième dispute avec sa tendre moitié, il se décida finalement à la répudier et prendre une autre femme, plus fertile, qui saurait lui donner un fils tant attendu.

Elle était belle et désirable… mais malgré son assiduité à l’honorer, toujours rien. On commençait à murmurer, à la cour, qu’une malédiction pesait sur le royaume. Quelques vassaux s’enhardirent et commencèrent à lorgner sur le trône. Après tout, s’il n’y avait pas d’héritier, la place serait bientôt libre pour une nouvelle dynastie.

Le roi, toujours plus sombre, fit condamner à mort sa nouvelle femme pour infécondité, puis en prit une autre, et une autre, et une autre encore. La cinquième fut sauvée par une terrible guerre civile qui ravagea le pays et détrôna le roi fou.

Après l’assaut sur le palais, un médecin renommé ausculta le cadavre du roi occis pour confirmer son décès. S’il avait eu de meilleures connaissances, il aurait pu constater que la stérilité venait en réalité du roi fou. Avec plus encore de moyens, il aurait pu découvrir en découvrir la cause : un agent pathogène qui avait affecté le roi dans sa jeunesse. L’exposition directe au sang d’un dragon noir.

Mais les connaissances balbutiantes de la médecine ne permettraient pas un tel diagnostic avant plusieurs siècles au moins. Le médecin conclut donc simplement au décès du roi, fermant la page d’une des plus sombres périodes du royaume.

Date d’écriture: 2020

L’arme ultime

Quand la sombre ensorceleuse Zend’bariel apprit l’existence d’un artefact suffisamment puissant pour la terrasser, elle envoya aussitôt ses troupes à l’assaut de Château Gareal. L’affrontement fut aussi inégal que sanglant. L’un dans l’autre, son premier lieutenant entra sans trop de peine en possession des légendaires Runes Anciennes.

Aiguillés par le désespoir, les elfes sylvains tendirent une embuscade à son premier lieutenant tandis qu’il lui rapportait son butin. L’embuscade leur couta de nombreuses vies supplémentaires, mais ils parvinrent à s’enfuir avec les Runes Anciennes en leur possession.

Leur héros, Fyllae, se fraya un chemin jusqu’à l’antre de l’ensorceleuse. Ce fut chose facile – le gros des troupes célébrait la victoire de Gareal – aussi Fyllae atteignit bientôt le cœur du donjon de l’ensorceleuse. Zend’bariel était bien là, seule dans ses quartiers.

Dans un sursaut de noblesse, Fyllae et ses deux fidèles compagnons lui offrirent une dernière chance de se rendre. L’ensorceleuse leur répondit par un rire sardonique, mais le rire s’étouffa dans sa gorge quand elle contempla les Runes Anciennes.

Elle déchaîna alors contre eux toute sa fureur, espérant contre toute évidence parvenir à les vaincre avant que Fyllae n’achève la lecture des runes. Un des compagnons de Fyllae paya ce combat de sa vie, mais le second tint suffisamment longtemps pour permettre au héros de compléter l’incantation. La victoire était désormais assurée.

Mais rien ne se produisit.

Fyllae, incrédule, vit son second compagnon mourir, puis affronta à son tour l’ensorceleuse en un combat perdu d’avance. Il lutta bec et ongle, rendant coup pour coup à Zend’bariel. Mais elle était simplement trop puissante. Anormalement puissante. Un dernier sortilège le paralysa tandis que son ennemie le poignardait, un sourire mauvais aux lèvres.

Zend’bariel, épuisée mais satisfaite, s’assit dans son divan ravagé par le combat. L’assaut de Château Gareal avait fourni une superbe diversion. Pendant ce temps, elle se rendait en personne dans les Hautes Terres et s’emparait en toute discrétion de l’Anneau de Puissance, qui ornait maintenant son doigt.

Les Runes Anciennes compléteraient à merveille sa collection de vieux parchemins inutiles, et le meurtre de Fyllae n’était que la cerise sur le gâteau d’un plan magistralement exécuté.

Elle repoussa un des cadavres du divan et s’allongea en sifflotant, songeant à ce qu’elle pourrait bien faire de cette toute puissance nouvellement acquise.

Date d’écriture: 2020

Le dragon

Le dragon venait régulièrement harceler les habitants de la bourgade de Fyrsell. Les bons jours, il se contentait d’enlever quelques têtes de bétail, appauvrissant d’autant leurs propriétaires. Les mauvais jours, il emmenait les propriétaires eux-mêmes dans son antre pour les y dévorer.

Le maire décida que la situation ne pouvait plus durer et qu’il était de son devoir d’y mettre fin. Il réunit le conseil du village et prit la parole devant l’assemblée.

– Le dragon a emporté trop de nos jeunes bergers et bergères. Lyson, Halfie, Eleanor… il est grand-temps de le chasser de nos terres !

Tous hochèrent la tête d’approbation.

– Ce dragon nous nargue depuis des semaines, c’est maintenant l’occasion d’envoyer un message clair pour lui et ses semblables !

Nouveau murmure d’assentiment dans l’assemblée.

– Le joug des reptiles cesse aujourd’hui ! Pour l’humanité ! Pour Fyrsell !

Des vivats enjoués et un tonnerre d’applaudissements accueillirent cette dernière tirade.

Quand l’émoi se fut calmé, le maire vit qu’un jeune homme, Markus, avait la main levée.

– Oui, Markus ?
– Nos relations se sont-elles améliorées avec la ville de Norgard ? Viendront-ils nous aider ?
– Eh bien… non. Ils refusent toujours de reconnaître notre souveraineté sur ces terres.
– Alors, la guilde des guerriers nous envoit-elle une escouade ?

Le maire émit une toux gênée.

– Hum… non. Leurs tarifs sont malheureusement bien trop élevés pour notre modeste bourgade.

Markus fronça les sourcils.

– Mais… dans ce cas, qui parmi nous, bergers, artisans, gens du commun, s’en ira affronter le dragon ?

Un immense silence suivit cette question.

Et le dragon resta dans les parages, jusqu’à ce qu’il se lasse et parte piller de plus riches contrées.

Date d’écriture: 2020

Le héros

Quand Sire Georges, le plus courageux des chevaliers, défit l’armée de Furbolg le troll avec seulement dix de ses braves, l’euphorie fut à son comble dans le protectorat. La population le porta aux nues, évinça le lâche gouverneur Siernon – qui n’avait jamais affronté de trolls de toute son existence – et plaça le noble Sire Georges au pouvoir.

Et tous s’endormirent heureux, confiants en l’avenir.

Mais trois jours plus tard, la nourriture manquait. Sire Georges n’avait pas renouvelé le contrat d’approvisionnement avec Serenib, la région agricole voisine.

Une semaine plus tard, les médicaments manquaient. Les apothicaires de la ville de Margeyt n’avaient pas été sollicité et s’étaient naturellement tournés vers d’autres clients.

Deux semaines plus tard, le protectorat tomba à court de fer. Les nains des mines de Prakt n’avaient pas été payés et refusaient de travailler gratis pour le compte du nouveau gouvernement.

Un mois plus tard, après un nombre incalculables d’autres disfonctionnements, la population supplia le gouverneur Siernon de revenir. Quand il accepta, on l’accueillit en héros.

Sire Georges avait peut-être gagné la guerre, mais était un parfait incapable en temps de paix.

Date d’écriture: 2020