Le divertissement

En bas, les hommes se battaient. Une obscure histoire de ligne mal placée sur une carte. Ou était-ce encore une insulte imaginée par un d’entre eux ? Une question sur la bonne chose à croire ? Peu importe. En bas, les hommes se battaient.

Au départ, le spectacle avait été… divertissant. Une sorte d’arène immense, où tout un chacun pouvait parier sur l’issue du combat. Mais l’histoire tournait en boucle. Les scénarios, toujours les mêmes, étaient maintenant trop bien connus, et les êtres célestes ne venaient plus aussi nombreux pour voir l’attraction. En fait, ils n’étaient qu’une poignée ce jour-là. En bas, les hommes se battaient et mourraient, dans l’indifférence la plus complète.

Il était temps de renverser la tendance. Le responsable étudia le monde du dessous. La matière offrait des perspectives… intéressantes. Il orienta quelques spécimens moins stupides que leurs congénères vers la chimie. Boum. Quelques siècles plus tard, les hommes maîtrisaient le canon, l’arme à feu. On vint un peu plus nombreux pour voir la nouveauté, mais cela ne dura guère. En bas, les hommes se battaient et mourraient toujours plus nombreux, dans l’indifférence la plus complète.

Alors il leur donna l’atome. Des explosions s’élevèrent, frôlant les cieux, et les êtres célestes applaudirent la nouveauté. En bas, les hommes se battaient et mourraient, leur chair fondait. Jamais, de mémoire céleste, on n’avait vu tel carnage. Magnifique. Horrible. Quand enfin la surface de la Terre fut vitrifiée, quand le dernier homme mourut, les êtres célestes retournèrent à leurs activités premières.

En bas, les hommes ne se battaient plus.

Date d’écriture: 2020

Fortitude

Mon corps tremble. Par peur, bien sûr, mais aussi sous l’effet de l’adrénaline qui coule à gros bouillons dans mes veines. L’officier allemand me regarde d’un air mauvais.

Où ? »

Je ne réponds pas. Sur un signe de tête, ses trois sous-fifres m’empoignent et m’attachent solidement sur la table d’opération. Je me débats. Aucune chance.

Un quatrième entre dans la pièce mal éclairée, ouvre sa mallette, en sort une pince coupante et coince la base de mon petit doigt entre ses lames.

Où vont-ils débarquer ? »

Qu’il aille se faire foutre. C’est la fin pour moi, de toutes façons. J’emporterai ce secret dans ma tombe.

La pince se referme. Clac. La douleur remonte en un instant le long de mes nerfs et explose dans mon cerveau. Quelqu’un hurle. Je réalise avec horreur que c’est moi. Je m’étais promis de rester fort, de ne pas leur faire ce plaisir. Mais je n’ai pas la volonté de résister à ça.

Le doute s’insinue. Aurai-je le courage de résister à la torture ? Ils ne doivent pas savoir. Le lieu du débarquement doit rester secret. Il y a bien plus en jeu que ma propre vie.

Clac. Une nouvelle phalange tombe. Où, ne cesse de répéter l’officier. Clac. Clac. Il suffit de quelques mots et tout s’arrête. Clac. Ils passent à l’autre main. Clac. Je hurle en continu. Où ? Ils ne doivent pas savoir. Ils ne le doivent pas. Clac. Où ? OU, OU, OU ?! Je crie, de dégoût et de soulagement.

Sur les plages du Pas-de-Calais ! »

L’émotion me submerge, aussi forte que la douleur. J’ai trahi. Je n’ai pas été assez fort. Le débarquement sera anéanti, parce qu’ils seront là pour cueillir les alliés. Des larmes amères coulent de mes yeux alors que tombe le coup de grâce.

Jamais je ne saurai que mon propre état-major m’a menti. Que cette information, que j’ai gardée par devers moi au prix d’horribles souffrances, à laquelle je croyais dur comme fer, n’était qu’un leurre.

Dans quelques jours, les allemands masseront leurs troupes sur les plages du Pas-de-Calais et dégarniront les plages de Normandie. Moi qui croyais trahir, je viens de sauver des milliers de vies. Mais je ne le saurai jamais. Je n’étais qu’un pion anonyme dans un échiquier qui me dépasse.

Date d’écriture: 2020
Aux sacrifices consentis pour rendre possible le débarquement en Normandie.

 

L’ultime vérité

Qu’est-ce que la Vérité ? Un simple mot, un concept inaccessible ? Sans doute. Mais pour le prêtre, Monseigneur de Valliès, c’était un véritable credo. C’était sa vie, son serment. Il avait promis, quelques décennies auparavant, de ne jamais plus dire que la Vérité. Mais voilà. Au soir de sa vie, il devait bien en convenir, ce serment avait fait de trop nombreuses victimes.

Ces réfugiés, sauvagement massacrés par cette bande de soldats en maraude, parce qu’il ne pouvait se résoudre à leur montrer la mauvaise direction. Ces paysans, pendus par le duc, parce qu’il ne pouvait prétendre qu’ils avaient effectivement donné tout le grain aux percepteurs d’impôt. De trop nombreuses victimes, oui.

Ces morts perturbaient Monseigneur de Valliès, bien entendu. Il en avait conclu que le monde était par trop imparfait pour accueillir une si totale honnêteté de propos. Mais dans cet instant de lucidité, suspendu entre le noir voile de la mort et le lumineux monde des vivants, un autre mensonge occupait tout l’espace.

Mensonge ? Est-ce un mensonge, si l’on croit sincèrement à ses propos ?

Oui. Et en un frisson d’horreur, Monseigneur de Valliès réalisa qu’à son insu, il avait en réalité menti toute sa vie.

Car en cet infime instant, il réalisa que Dieu, cet être magnifique auquel il avait sa vie entière voué ses louanges, ce guide suprême au nom duquel il avait renoncé au mensonge… Dieu, donc, n’existait pas.

Et sur cette dernière Vérité, il sombra dans le néant.

Date d’écriture: 2020

La bibliothèque

Léonard n’avait jamais vraiment cessé d’apprendre de son vivant, aussi, une fois dans l’après-vie, décida-t-il de se cultiver encore et sans relâche. Après tout, il avait désormais l’éternité pour assouvir sa passion. On lui présenta le bibliothécaire, qui l’amena au saint des saints, la grande bibliothèque universelle où se trouvait archivé tout le savoir humain, mais aussi tout ce que les humains n’avaient jamais découvert, en bref, tout ce qu’il était possible de découvrir. Et il y avait même, lui avait-on dit, des archives retranscrivant tout ce qui existait mais ne pouvait être découvert, car la plus discrète des observations aurait apporté trop de modifications pour permettre l’observation du phénomène.

La bibliothèque était immense. Un véritable monde dans l’univers de l’après-vie, telle fut la première impression de Léonard quand il arriva sur le seuil. Il remarqua avec étonnement qu’il était seul. Le bibliothécaire s’arrêta au pas de la porte et lui fit signe d’avancer.

Vous n’entrez pas ? » demanda Léonard, surpris.
Oh non ! » répondit le bibliothécaire. « Voilà de nombreux fragments d’éternité que nul n’est plus entré ici. »
Mais alors, qui classe les nouvelles découvertes ? » s’étonna Léonard.
Personne ne les classe. Les nouvelles découvertes arrivent et s’ajoutent d’elles-mêmes à l’édifice, si bien que la bibliothèque ne cesse de croître. Mais tout ceci grandit bien trop vite pour que quiconque puisse encore y mettre de l’ordre, même moi. »
Alors si je veux savoir, par exemple, comment fonctionne le corps humain, comment ferai-je donc pour trouver ce que je cherche ? »

Le bibliothécaire sembla soudain pensif.

Eh bien… il existe bien un moyen, mais… »
Quel est ce moyen ? » insista Léonard.
Il n’existe aucun classement, aussi vous ne pourrez trouver l’information que vous cherchez qu’avec une chance infinie. Mais qu’à cela ne tienne, il vous suffit de lire l’ensemble de la bibliothèque. Vous finirez tôt ou tard par savoir ce que vous voulez. »

Léonard considéra l’édifice imposant, qui avait déjà sensiblement grandi durant les quelques minutes qu’avait duré leur discussion. Cette nouvelle aile, dans la partie ouest, par exemple… Léonard aurait juré qu’elle n’y était pas, quelques instants auparavant.

Tout lire ? Mais quelle est la taille de cette bibliothèque ? »
Elle contient tout le savoir du monde, qui est infini. Aussi est-elle, nécessairement, elle aussi infinie. Fort heureusement, vous disposez d’autant de temps que vous n’en voulez en ce lieu, aussi aurez-vous le temps de tout lire si tel est votre bon plaisir. »

Léonard réfléchit un moment. Avait-il vraiment une telle soif de connaissances ?

Et votre maître, Dieu, ne pourrait-il pas y mettre un peu d’ordre ? »

Le bibliothécaire sourit.

Où donc pensez-vous que soit Dieu ? » demanda-t-il d’un air malicieux.

Léonard fut soudain perplexe. A bien y réfléchir, on lui avait fait visiter l’ensemble des lieux, mais nulle part il n’avait été mention de la demeure de Dieu, et Léonard ne lui avait pas encore été présenté.

Sur Terre, on avait pour coutume de dire que Dieu était partout et en toute chose. » réfléchit-il à haute voix.
Une remarque appropriée. » approuva le bibliothécaire. « Et qu’il sait tout, une façon détournée d’affirmer qu’il contient tout le savoir du monde. Tout comme cette bibliothèque. Il, ou elle, selon la façon dont il vous plait de le ou la nommer, est omniscient.e. En un sens, il/elle contient le monde. Je vous repose donc la question : où pensez-vous que soit Dieu ? »

Léonard contempla la bibliothèque et comprit. Dieu n’avait rien d’un vieil homme barbu. Il était le réceptacle du savoir du monde, toujours avide d’en connaitre davantage, et c’est en ce sens qu’il avait créé l’homme à son image.

Il se prosterna devant l’édifice qui était en fait son Dieu, puis, sur un signe de tête approbateur du bibliothécaire, entra à l’intérieur.

Date d’écriture: 2020

It’s a kind of magic

Des fosses si profondes que leur pression m’aplatirait comme une crêpe. Un immense orage spatial de cent cinquante mille années-lumière autour de la galaxie 3C303. Une diversité animale si importante que jamais je ne connaîtrai le centième des espèces qui peuplent ma planète. Des gens que j’aime autour de moi, et qui me rendent mon amour.

C’est étrange qu’on ressente le besoin de faire appel au surnaturel pour ajouter de la magie à notre monde.

Date d’écriture: 2020