Le virus

Un réseau. Des milliards de liens qui s’entremêlent, de la simple connaissance au plus intime des amis. Et nous avons tous nos propres connections dans cette trame. Personne, nulle part, n’est vraiment seul. Oh, bien sûr, certains ont des liens plus nombreux, ou plus solides, ou fort rarement les deux à la fois. Mais nous faisons tous partie de cette gigantesque toile sociale. Maintenant, imaginez un instant que quelqu’un, quelque part, conçoive un virus capable de se propager de relation en relation. Personne sur Terre ne serait à l’abri.

Cette nouvelle arme est en train d’être perfectionnée en ce moment même. On l’appelle sous différents noms : la télévision, Facebook, Twitter… tous ces outils en apparence innocents, je les ai travaillés comme autant de vecteurs de propagation. Mais très vite, je me suis heurté à un obstacle de taille : tout comme les anticorps repoussent l’infection, la pensée critique a combattu ce que je déversais dans le réseau. Dès que quelqu’un perçait à jour un de mes mensonges, il cessait de le diffuser. Pire encore, il diffusait ses propres idées dans le système, empêchant le mensonge d’infecter d’autres gens. J’avais sous-estimé l’esprit humain.

Comment une maladie peut-elle vaincre les anticorps ? Facile : on attaque directement le système immunitaire. Le corps, incapable de produire ses propres défenses, se retrouve à la merci du virus. Alors je me suis attaqué directement à l’éducation. Réduction des budgets, dévalorisation du corps enseignant, nivellement par le bas, banalisation de l’échec scolaire, programmes inadaptés. Tout ça, c’est moi.

Eh bien, je suis fier de vous annoncer que mes efforts ont payé. Le cancer est implanté. La population cesse progressivement de réfléchir. Une rumeur suffit à faire tomber un gouvernement. Un tweet et je contrôle le monde.

Clic. Voilà qui est fait.

 

Date d’écriture: 2017
A la pensée critique. Puisse-t-elle ne jamais disparaitre.

Le plateau

Un immense plateau, des milliards de cases. Les pions ignorent leur but, s’agitent en tous sens pour le trouver. Ils sautent sur les cases les mieux placées, quitte, parfois, à pousser d’autres pions hors du plateau. Les plus chanceux apparaissent au bon endroit et au bon moment, les autres doivent trouver leur voie. Le plateau lui-même se fâche à l’occasion. Ouragans, tremblements de terre, inondations… les cartes d’évènements spéciaux ne manquent pas.

Tu veux jouer ? Parfait. Bienvenue sur Terre !

Date d’écriture: 2014

Œuvre éphémère

Palette de couleurs dans l’instant figé. Ça ferait un joli nom pour ce tableau.

En quelques éléments, la scène est posée. L’immense arbre, tronc marron, dépressif, penché selon un angle impossible, donnerait un premier indice aux plus observateurs. La passagère, lèvres carmin, trop maquillées, ouvertes en un cri inarticulé, indiquerait plus clairement la nature dramatique de l’œuvre. Et pour parachever la toile, le soleil couchant, éblouissant, insoutenable, teinterait la scène d’une pellicule rouge sang. L’avant-goût du désastre à venir.

Il y a une certaine beauté dans cet instant de calme avant la tempête. Mais comme tout instant, il finit par passer. Le charme se rompt, la réalité nous rattrape. Le son revient. Hurlement du vent qui gifle le pare-brise. Bruit de gorge étranglé de Caroline à mes côtés. Plainte de la tôle froissée comme la voiture finit son dernier tonneau et va s’encastrer dans l’arbre. Et puis, plus rien. Le silence à nouveau.

La palette des couleurs a disparu. Ne reste que le noir.

Date d’écriture: 2017

Bon sens

Je suis contre-nature. Mais gaver la terre de produits chimiques, ça ne dérange pas tellement.

Je suis pervers. Par contre les viols c’est pas si grave, on est en 2018 quand même.

Je détruis la famille. Mais laisser ses enfants livrés à eux-mêmes toute la journée, c’est tolérable.

Je suis un danger pour la civilisation. Pas comme le racisme et l’inculture.

Je suis homosexuel. Et ça, visiblement, ça c’est un vrai problème qui mérite qu’on s’y attarde.

Date d’écriture: 2018