Le rocher

Je regardais le rocher au beau milieu de la clairière.

– Je ne veux pas dormir ici.

Sarah leva les yeux par-dessus son paquetage, surprise.

Tu veux encore avancer ? La nuit ne va pas tarder à tomber. Il faut qu’on installe le bivouac.

Je déglutis.

– Pas ici. Pas à côté de ce rocher.
– Pourquoi ?!

Elle allait me prendre pour un fou… tant pis, impossible de garder mes raisons pour moi à présent.

Quelque part au milieu de la Cornouaille, pas très loin de là où j’ai grandi, il y avait un menhir en tout point semblable à ce rocher. La légende dit que si on dort toute la nuit à son pied, le peuple fée viendra vous chercher et vous emmènera pour toujours dans son royaume souterrain.

Elle haussa les épaules.

On a passé l’âge de croire aux contes de fées, non ?
– Eh bien… quand j’étais enfant, dans un sursaut de bravoure, j’ai pris mon sac de couchage, je me suis allongé dans l’ombre du menhir, mon chat sur les genoux, et j’ai attendu que tombe la nuit.

Sarah sourit.

Et les korrigans sont venus te chercher ?
– Pas tout à fait. Ma mère est venue me chercher et m’a ramené à la maison.
– Alors où est le problème ?

Je baissais la tête.

Mon chat, Boubou. Il était resté en arrière, et il a disparu ce soir-là. On ne l’a jamais revu.

Sarah soupira.

Il a peut-être simplement été récupéré par un de vos voisins ?
– Impossible, tout le monde aux alentours le connaissait, et il était parfaitement reconnaissable avec son oreille coupée.
– Ecoute, Julien, on marche depuis le lever du soleil, et je suis épuisée. Si tu veux, on s’éloigne de quelques pas de ce caillou, mais je ne fais pas une heure de marche de plus dans la pénombre parce que ton chat a disparu quand tu avais huit ans.

Je n’essayais même pas de la convaincre. Sarah avait une volonté de fer, et je savais par expérience que je ne pourrais la faire fléchir.

On monta la tente, et on s’allongea dans les bras l’un de l’autre tandis que le soleil sombrait à l’horizon. Je faisais de mon mieux pour masquer ma panique, mais je sursautais au moindre bruit. Pas Sarah, bien sûr. Elle s’était de suite endormie, harassée par notre longue marche dans ces contrées sauvages.

Avait-elle raison ? Boubou avait-il simplement décidé d’aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte ? Ou avait-il eu un accident tout déjà fait naturel ? Peut-être. Mais la ressemblance entre le menhir et ce rocher était… frappante.

Derrière le rocher, une brindille craqua. Mon cœur rata un battement, puis s’agita furieusement dans ma poitrine. Je me décalais et ouvris le rabat de la tente pour voir ce qui se passait. Une bête, gênée par ma présence, bondit hors de la clairière et s’enfuit vers le couvert des bois. Comme la bête passait devant le faisceau de ma lampe-torche, je la vis distinctement.

C’était un chat sauvage à l’oreille coupée.

Date d’écriture: 2020

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