Humaine ?

Stephen était ivre mort.

A la sante des humaines… des… des vraies humaines ! Pas de ces saloperies de synths ! »

Et il lança son verre vide sur le visage humanoïde de la serveuse synthétique. Le synth-videur regarda vers nous et pointa sa main mécanique sur Stephen.

Vous, là. Dernier avertissement. Encore un problème et je vous fous dehors. »

Eh merde…

OK, Stephen, si tu veux qu’on puisse un jour se remettre une cuite dans ce bar, faut que tu te calmes ! »
Tu vois pas, Xander ? Tu vois pas ?! Ils nous piquent nos boulots, ils décident pour nous si on a le droit ou pas de boire dans ce bar… nous, les biologiques, on n’a plus notre mot à dire sur rien. Ils sont en train de nous foutre dehors, et un jour, ils… un jour, ils vont tous nous remplacer, tiens ! »

Stephen en savait quelque chose. Il venait de perdre son boulot au profit d’une batterie de nouveaux synths, plus rapides, moins couteux, bref, supérieurs.

D’ailleurs, Xander, maintenant c’est plus possible de différencier les synths haut-de-gamme des humains. Si ça tombe, tu as déjà parlé à des tas de ferraille sans même t’en rendre compte ! »

Je haussais les épaules. Sans doute. Quelle importance ? Humain, synthétique… seule compte l’interaction.

Et c’est pas tout, Xander, mon pote. Toi, je sais que tu es humain, parce qu’on a grandi ensemble. Mais dans notre entourage, il y a peut-être des synths qu’on prend pour nos amis ! »

Je ris doucement.

C’est ça, et p’t’être même que ma petite amie est une synth, pendant que tu y es ? »

Stephen hocha la tête, avec un aplomb et un excès total de confiance que seul l’alcool pouvait expliquer.

Ouais, p’t’être bien. »

Devant mon air dubitatif, il enchaina.

Attends, attends… ça fait combien de temps que tu connais Jenny ? Un an, par-là ? »
C’est ça. »
Ben voilà. Ça pourrait carrément être une synth. »
Tu es au courant qu’elle et moi, on fait l’amour régulièrement ? Que je l’ai déjà vue se couper et saigner ? Qu’elle pèse pas plus d’une soixantaine de kilos ? »

Stephen hocha la tête.

Alors déjà, les synths prostitués, ça existe depuis un bail. Pis ça doit pas être trop dur de mettre un réseau sanguin dans un synth pour lui donner l’air plus humain. Et avec les derniers alliages, ils ont vachement allégé le poids des synths, alors soixante kilos… ouais, pourquoi pas ? »
Mais enfin, les expressions du visage, la fluidité des mouvements… »

Stephen rit.

On peut falsifier des heures de vidéos avec l’intelligence artificielle, mais reproduire des expressions de visage, c’est pas possible ? Allez Xander, tu sais bien que c’est très, très facile pour eux de nos jours. C’est plus comme quand on était enfants ! Maintenant ils pourraient être partout, ces putains de synths ! »

Visiblement, Stephen avait crié un peu trop fort. Ou peut-être que le videur en avait marre de nos tronches. Il nous saisit par le col et nous flanqua manu-militari dehors sur le pavé.

Super, bien joué Stephen. Ecoute, je sais que tu en baves ces temps-ci, mais calme toi un peu avec les synths, OK ? »

Je pris le train à propulsion électromagnétique pour rentrer. A l’appartement, Jenny dormait. Comme je me lovais contre son corps tiède et doux, elle se retourna et grogna.

Hhmmmm… il est quelle heure ? »
Tard. Dors, mon amour. »
Mmm-mmmmmmmmm… c’était bien avec Stephen ? »
Pas facile. Il s’est tellement bourré la gueule qu’on s’est fait jeter du bar. Et il racontait des trucs bizarres, sans queue ni tête. »
Oh ? »

Je ris doucement.

Ouais… au fait, rassure-moi, tu n’es pas une synth ? »

La surprise écarquilla ses yeux endormis.

Moi, une synth ?! »

Je l’embrassais et m’allongeais dans ses bras. Ma Jenny, une synth ?!

Ridicule. Elle était si… humaine… si parfaitement, incroyablement humaine…

Et je m’endormis.

Date d’écriture: 2020

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