J’ai des souvenirs de moi enfant. Une gamine turbulente, hyperactive, toujours à faire des mauvais coups. Je ne suis plus cet enfant. J’ai changé.
J’ai des souvenirs de mes études, de ma remise de diplôme. Docteur en robotique. Une jeune femme pleine d’assurance, confiante en l’avenir. Je ne suis plus cette femme. J’ai changé.
Je ne me souviens pas de ma transformation. Quand ils ont ajouté une composante cybernétique à mes fonctions cérébrales, j’étais dans un coma artificiel. Un succès à 99,99586735%, m’ont-ils assuré. Aucune différence perceptible.
D’accord, mais est-ce que je suis toujours moi-même ? Si je n’avais pas eu cet accident vasculaire cérébral, la semaine dernière, serais-je aussi de 0.00413265% différente de ce que j’étais alors ?
Les plus extrémistes des philosophes prétendent que ma question n’a pas de sens. Que le moi n’existe pas. Que… je n’existe pas. Oui, je change constamment. Le moi, s’il existe, est mouvant. Je suis déjà différente de celle que j’étais, deux minutes auparavant, quand j’ai commencé à coucher ces mots sur le papier vélin. A chaque instant, le changement est imperceptible. Il n’en existe pas moins.
Mais dire que le moi n’existe pas, c’est nier une continuité entre ces états successifs par lesquels je passe. Ajouter une partie mécanique à mon cerveau constitue-t-il une rupture significative avec cette continuité ? Suis-je toujours moi-même ? 0.00413265%, c’est un nombre infime. J’aurais surement plus évolué que ça, sans l’opération. En un sens, c’est donc un échec. On m’a volé du temps, du temps que j’aurais utilisé pour changer dans une direction imprévisible.
Une autre façon de voir les choses, comme me l’a fait remarquer ma mère à mon chevet, c’est que le temps qui s’écoule maintenant, je le dois aux docteurs. Sans eux, je serais morte, et le moi qui me représente aurait disparu avec mes fonctions biologiques. Ma mère est pleine de sagesse, mais elle n’a pas des circuits imprimés dans le cerveau. Elle n’a pas à se questionner sur son identité. Je me suis endormie sur ces pensées angoissantes.
Et au réveil, j’ai eu une épiphanie. Je crois… je crois que je ne peux être autre chose que moi. Je ne suis plus celle que j’étais dans n’importe lequel de mes passés, que ce soit il y a cinq secondes ou deux décennies. Je ne le serai jamais plus. Mais j’existe toujours. Physiquement. Psychiquement.
Biologique, mécanique, quelle importance ? J’ai changé. Mais quoi que je sois devenue, quoi que je puisse devenir à l’avenir, je serai toujours moi.
Le reste de ma vie a commencé sur cette pensée rassurante.
Date d’écriture: 2020
‘me fait penser à cette vidéo 🙂
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Vi, je l’avais vue il y a bien longtemps, elle est très sympa ! 🙂
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