L’archange Gabriel soupesait le problème depuis quelques millénaires quand, au plus profond de sa méditation, il trouva enfin la solution au problème qui empêchait l’humanité d’accéder au bonheur. Il demanda aussitôt audience à son créateur et fut, dans les plus brefs délais, reçu dans le petit coin de ciel qu’occupait Dieu.
Dieu était, comme à son habitude, confortablement installé sur le bord duveteux d’un nuage. Il accueillit Gabriel comme s’il s’était agi d’un frère et lui proposa une place à sa droite. Mais Gabriel était trop impatient de lui présenter sa découverte, aussi entama-t-il derechef la conversation.
– Seigneur, comme vous le savez, le bonheur de l’humanité me tient à cœur depuis que vous m’avez confié la difficile tâche de les guider sur le chemin qui les mènera à vous. Il est manifeste que les souffrances qu’endurent vos enfants dépassent, de loin, leur bonheur. J’ai d’abord pris cela comme un échec de ma part, et je n’ai pas ménagé mes efforts pour améliorer leur condition. Mais quoi que je fasse, leur élévation n’est que temporaire et bien vite, la joie s’atténue ou pire encore, se mue en nouvelles douleurs. »
Dieu écoutait attentivement son second. Il hocha la tête, incitant implicitement Gabriel à poursuivre.
– Alors j’ai essayé de comprendre par quels mécanismes leur joie disparaissait. Et c’est là que j’ai fait une découverte surprenante : dès leur conception, vos enfants sont condamnés à ne ressentir la joie que de manière éphémère, tandis que la souffrance les marque de façon durable, parfois même indélébile. J’ignore comment cela a pu se produire, mais je suspecte fortement une intervention de votre premier fils, Satan. Seule une créature vile et mauvaise pourrait avoir commis un tel acte, une telle… »
Dieu avait levé la main en signe d’apaisement. Gabriel s’interrompit aussitôt, et son maître prit la parole.
– Tu es un être sage, Gabriel, aussi puis-je te confier la terrible vérité. Mon fils, le diable, est innocent de ces méfaits. C’est moi, et moi seul, qui ai ainsi conçu les humains. »
C’est comme si le sol, enfin, le nuage, s’effondrait sous les pieds de Gabriel.
– Mais… Seigneur, pourquoi ? Comment pouvez-vous les laisser ainsi souffrir, vous qui êtes si bon ? Ne les aimez-vous pas du plus profond de votre être ? »
Dieu hocha la tête.
– De tout mon cœur. Et c’est pourquoi ils doivent connaitre la souffrance. »
Devant l’incompréhension de Gabriel, Dieu poursuivit.
– Imagine-toi humain. Tu ressens le bonheur quand tu effectues une bonne action, pour toi-même ou pour autrui. Et la joie qu’elle t’inspire perdure toute ton existence, ou à tout le moins une bonne partie de ta vie. Alors… pourquoi ferais-tu de nouveau le bien ? N’as-tu pas déjà eu ton content de bonheur ? Alors à quoi bon en chercher davantage ? »
Gabriel se plongea, mentalement, dans la peau d’un mortel et découvrit avec horreur la terrible justesse des paroles de son maître.
– Mais… et le malheur, en ce cas… ne pourriez-vous pas limiter sa durée de manière égale ? Faire en sorte que lui aussi soit éphémère ? »
Dieu sourit gentiment.
– Alors le mal et le bien seraient à égalité. Si la souffrance passait trop vite, les douleurs infligées aux autres seraient banalisées, minimisées, sans conséquences. La mort de son enfant ? Un bon verre de vin et pouf, oubliée ! Le viol de cette fille en soirée ? Bah, il suffit de lui faire un petit cadeau et ça passe ! Souhaites-tu vraiment ce genre d’existence pour mes enfants ? »
Gabriel était sous le choc, incapable de répondre.
– Non, mon ami. Vois-tu, j’ai moi-même fait en sorte que mes enfants souffrent. Il n’y a qu’en leur rendant le bonheur difficilement accessible qu’ils peuvent reconnaître la souffrance pour ce qu’elle est, et désirer s’en détourner. »
Comme Gabriel retournait veiller sur nous, les dernières paroles de son maître se gravèrent en lui. « C’est la rareté des joies humaines qui leur donne tant de valeur. »
Date d’écriture: 2019
Dieu aurait quand même du ne se reposer que le 8ème jour pour parfaire sa création, rendre les choses plus faciles et mieux équilibrer la balance 😉
Gilet Jaune
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