La richesse

Le jour où j’ai gagné était le plus beau de ma vie. En rétrospective, il était logique que la suite suive une pente descendante.

Douze millions cinq cent soixante-sept mille quatre-vingt-dix-huit euros. Quand l’annonce est tombée, j’ai été frappé par la foudre, tétanisé par la nouvelle. Et très vite, un sentiment de bonheur intense m’a envahi de la tête aux pieds.

Au travail, les collègues ont d’abord été heureux pour moi, on a célébré au champagne, tout le monde m’a félicité. Mais comme j’allais plus souvent au restaurant, que je commandais les meilleurs plats sans regarder à la dépense, un décalage s’est créé. Et puis je n’ai plus été invité à certains after-work. Et peu à peu, la bienveillance s’est muée en hostilité. Qu’est-ce que je faisais encore là, je prenais le travail d’un pauvre, je me mêlais à la plèbe par charité, entre autres bonnes paroles. J’ai démissionné.

En amour, ma copine a commencé par être heureuse pour moi, elle aussi. On s’est offert des super vacances, plage paradisiaque, dépaysement complet, la totale. Et peu après notre retour, elle a commencé à grincer des dents à chaque fois que je payais pour quelque chose. Elle se sentait assistée, elle voulait elle aussi participer aux dépenses, c’était une question de principes. Quand elle m’a quitté, elle m’a dit que je vivais dans un autre monde, que je n’étais plus celui dont elle était tombée amoureuse. Moi, je voulais juste la soutenir, c’est tout…

En amitié, j’ai de suite aidé mes amis dans le besoin, une maigre contribution au rapport de ma nouvelle fortune. Et ils ont commencé à se sentir gênés en ma présence, formels, comme si j’étais devenu leur banquier et plus leur ami. On s’est vus de moins en moins souvent, jusqu’au moment où j’ai cessé de les appeler amis.

Alors quoi, je me suis retrouvé seul ? Pas tout à fait. Une horde de parasites se sont collés à mes basques, prétendant l’amitié pour mieux bénéficier de mon argent. Je les ai vite virés de ma vie, mais ils ne cessent de revenir à la charge, les faux-amis, les hypocrites, les arnaqueurs en tous genres.

Depuis, je vis dans la peur. Je ne peux plus rencontrer quelqu’un sans me demander s’il est ici pour moi ou ma fortune. Alors je ne rencontre plus personne. Je me referme, je me sclérose, seul sur mon tas d’or. Il existe pourtant un remède simple. Faire un énorme don à une quelconque organisation caritative. Revenir à une vie plus simple, tout reconstruire. Renoncer à ma richesse. J’aimerais tant que tout redevienne comme avant.

Mais je n’y arrive pas.

Date d’écriture: 2019

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