Le seigneur Corvin de Sienne connut son premier combat à l’âge de onze ans. Son père, le marquis Lansignan de Sienne, était entré en conflit avec le comte Martial de Bery pour la possession des terres de Vendelieu, un conflit dont la famille de Sienne sortirait victorieuse trois ans plus tard. Mais en l’an de grâce 1256, une force de plusieurs centaines d’hommes du comte de Bery assiégeait le château de Sienne, et un détachement de vétérans avait réussi à pénétrer dans l’enceinte du fort à la faveur d’un assaut, avec pour ordre d’éliminer le marquis et sa famille. Ce détachement se composait de vingt hommes d’armes, dûment entraînés au combat, qui parcouraient les couloirs du château telle une meute de loups assoiffés de sang.
Il advint que le jeune Corvin de Sienne, qui se hâtait dans ces mêmes couloirs pour assister au combat, croisa leur chemin en ce jour funeste. N’écoutant que son courage, le jeune seigneur dégaina la dague que lui avait offert son père le marquis, prêt à promptement défendre l’honneur familial. Les marauds ennemis se gaussèrent à cette vue, mais ils ravalèrent bien vite leurs rires quand le seigneur Corvin en fit usage. Lui qui, de sa vie, n’avait encore jamais combattu, était animé d’une ferveur et d’une fureur qui ne pouvaient être que d’inspiration divine. Sa dague, maniée avec une dextérité telle que nul bouclier ne saurait l’arrêter, virevoltait à la vitesse de l’éclair d’une gorge à l’autre, taillant des coupes sombres dans le groupe de ses adversaires. Bien vite, quatre ennemis baignaient dans leur sang et les autres, couards qu’ils étaient, hésitaient à fuir à toutes jambes.
Mais Corvin de Sienne ne l’entendait pas ainsi. Il se saisit d’une torche qui ornait les murs de son château ancestral et, d’un pas vif et assuré, tourna autour des survivants, créant un anneau de feu qui leur coupait toute retraite. Son œuvre achevée, il jeta avec désinvolture sa torche parmi ses ennemis, en brûlant grièvement trois de plus. Les autres, enfermés dans le cercle de flammes avec ce terrible seigneur, agitèrent leurs épées en tous sens en proie à la panique. Quand ils surmontèrent leur terreur, trois de plus gisaient au sol, privant le seigneur Corvin d’un combat bienvenu.
Le seigneur Corvin, désireux de s’essayer à une nouvelle arme, saisit l’épée et le bouclier qu’un des félons avait laissé tomber au sol et, de grands moulinets, décima les forces restantes comme on moissonne un champ de blé. Tous tombèrent sous ses coups, sauf deux soldats qui, sournoisement, se mirent au sol, se faisant passer pour morts.
Des deux, le premier prit la fuite à la première occasion, préférant affronter les flammes plutôt que le courroux de son ennemi. Le seigneur Corvin, dans sa grande magnanimité, choisit de lui laisser la vie sauve, les hurlements de terreur de son adversaire lui assurant que jamais ce dernier ne reviendrait lui chercher querelle. Mais le second soldat, profitant que l’attention du seigneur Corvin était déjà prise ailleurs, porta un terrible coup au bras armé de son noble adversaire. De douleur, le seigneur Corvin lâcha l’épée qu’il avait prise à l’ennemi. Le traître soldat leva à nouveau sa lame, prompt à porter le coup fatal, mais le seigneur Corvin, plus rapide encore, éleva son bouclier. Or, plutôt que de parer comme un homme moindre l’eut fait, il se servit du rempart comme d’une puissante arme contondante et porta d’énormes coups de boutoir au casque du couard qui croyait l’abattre par surprise, jusqu’à ce que toute trace de vie eut quitté son regard.
Et voilà comment le seigneur Corvin de Sienne, pas encore sorti de l’enfance, imprima sa première marque en notre royaume dont il devait, par la suite, façonner la destinée. Ces mémoires s’attacheront à rendre compte des exploits qui ont suivi avec la même exactitude, la même rigueur, que celle avec laquelle nous avons rendu compte du premier combat de ce grand homme.
L’enfant leva ses yeux émerveillés du lourd manuscrit.
– Père, c’est vrai que grand-père Corvin a tué tous ces gens à onze ans ? »
Et la légende s’enracina un peu plus dans l’imaginaire collectif.
Date d’écriture: 2019