La faim

La créature était née sur les bords d’un petit étang, éclairée par la lumière des deux lunes du système local. L’œuf dont elle était sortie faisait, au plus, trois ou quatre centimètres de long, et elle n’avait guère qu’une bouche garnie de dents, et un système digestif primitif. Aussi sa première proie fut-elle attrapée en un claquement de mâchoires instinctif. La créature ressentit une satiété des plus plaisantes, pendant quelques heures à tout le moins. Puis elle ressentit la faim et retourna chasser.

Elle était douée pour cela et grandit bien vite. Dans le même temps, l’étang se dépeupla. Poussée par une faim toujours croissante, elle étendit son territoire de chasse à la plaine voisine, qui se dépeupla à son tour. Il devint vite évident que la créature ne pourrait, à elle seule, couvrir un territoire de chasse suffisant pour subvenir à ses besoins. Elle avait beau se démener en tous sens, la faim ne cessait de croître.

Lorsque la faim atteint son paroxysme, la créature se scinda instinctivement en deux entités plus petites. Ces entités étaient comme deux extensions d’elle-même ; elle pouvait ainsi se déplacer en plusieurs territoires de chasse à la fois, indépendamment de la distance qui séparait ses nouveaux appendices. Ainsi la créature poursuivit sa croissance effrénée, jusqu’à ce que toute autre forme de vie sur la planète ait été dévorée.

 

A son apogée, elle disposait de nombreux appendices spécialisés, terrestres, souterrains, aquatiques, aériens, tous agissant de concert selon son bon vouloir. Hélas, ce faisant, ses besoins en nourriture avaient cru de paire avec sa masse, et cette fois la subdivision de ses appendices ne résolvait aucunement le problème. Taraudée par la faim, la créature commençait à lentement dépérir quand elle remarqua un mouvement sur une des deux lunes. Y aurait-il de la nourriture là-bas ?

La créature spécialisa davantage ses appendices aériens, et en envoya quelques-uns en reconnaissance. De la vie avait effectivement colonisé cet espace, qui fut bien vite nettoyé. Alors la créature se tourna vers les étoiles et discerna, loin, très loin, davantage de mouvement. Elle spécialisa ses appendices aériens à l’extrême, jusqu’à ce qu’ils puissent atteindre l’espace profond, et leur fit entamer un long voyage vers de nouvelles planètes. Beaucoup ne résistèrent pas au voyage, bien entendu, mais il ne suffisait que de quelques appendices survivants pour amorcer une nouvelle croissance exponentielle sur d’autres systèmes. Et la créature avait ainsi poursuivi sa croissance, d’étoile en étoile, puis de galaxie en galaxie. Certaines formes de vie résistaient bec et ongles, d’autres tombaient plus facilement. Mais à terme, toutes furent assimilées par la créature.

 

Et la créature se trouva finalement seule. Toute autre vie avait disparu de l’espace, mais la faim était toujours là, impérieuse, imposant à la créature de se nourrir. Alors la créature se dévora elle-même, un appendice à la fois, et poursuivit le processus des millénaires durant. A terme, il ne resta plus qu’un dernier appendice, une simple bouche garnie de dents et pourvue d’un système digestif primitif, qui agonisait de faim sur une planète sans nom faute de pouvoir trouver une proie.

A sa mort, les étoiles restèrent silencieuses quelque temps. Mais la vie étant ce qu’elle est, il ne fallut que quelques centaines de millions d’années avant que de nouveaux êtres apparaissent spontanément. Ces êtres entreprirent de coloniser à nouveau l’univers, parfaitement inconscients du carnage qui s’était produit avant leur arrivée.

 

Date d’écriture: 2019

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