Le Léviathan

Au plus profond de la fosse des Mariannes vit un monstre marin. Son espèce a disparu il y a bien longtemps, mais il demeure, seul dépositaire du savoir des siens. Il attend. Ce n’est qu’une question de temps pour qu’émerge une nouvelle race douée de raison. Alors il pourra de nouveau partager ses connaissances aquatiques, avant de s’éteindre enfin. Tous les millions d’années environ, il s’éveille pour écumer les océans. Voilà ce qui lui arriva il y a quelques années…

Le monstre, sortant à nouveau de sa torpeur, quitta les abysses pour parcourir les mers. Cette fois, il remarqua quelque chose d’étrange. Les embruns charriaient des odeurs incongrues, manifestement chimiques. Les poissons semblaient aussi moins nombreux que dans son souvenir. D’étranges morceaux de métal flottant à la surface paraissaient les aspirer vers le haut. Leur technique attisa la curiosité du monstre : ils projetaient de vastes entrelacs sous l’eau pour capturer les poissons par bancs entiers.

Le monstre s’approcha, désireux de mieux comprendre ces créatures, et fit surface. Aussitôt, le morceau de métal fuit dans la direction opposée – droit vers une de ces tempêtes hivernales, qui unissent le vent et les flots en gros tourbillons écumants. Le monstre, parfaitement à l’aise dans ces eaux agitées, le suivit. Pour autant qu’il puisse en juger, le morceau de métal éprouvait des difficultés au milieu de la tourmente. En fait, il commençait même à couler sous les flots.

Voulant aider, le monstre saisit l’être de métal et fit de son mieux pour le maintenir à la surface. Mais voilà qu’un second morceau de métal, plus gros, s’était approché. Le monstre souleva son protégé et le tendit vers le nouveau venu, pour qu’il puisse prendre soin de son congénère. En réponse, le second morceau de métal cracha un minuscule projectile oblong, qui approcha à toute vitesse, heurta le monstre et explosa violemment. Pas assez, cependant, pour causer grand tort au léviathan.

Le message n’en était pas moins clair, et le monstre décida qu’il en avait assez vu. Il cherchait une espèce douée de raison ; de toute évidence, ces créatures qui l’attaquaient alors qu’il tentait de leur porter secours ne pouvaient en être. Il reposa délicatement son morceau de métal à la surface des flots (où il recommença à couler lentement) et sonda au plus profond. Dans les mois qui suivirent, d’autres morceaux de métal, visiblement plus à l’aise sous l’océan, lui donnèrent une chasse sous-marine. Le monstre se contenta de fuir et regagna la fosse de Mariannes, où les bouts de métal abandonnèrent finalement la poursuite.

Quand il ressortit de la fosse, environ un million d’années plus tard, les morceaux de métal avaient disparu. Il explora plus paisiblement les océans. Sans succès, mais peu importait. Le monstre était patient. Tôt ou tard, la raison apparaitrait de nouveau sous les eaux.

 

Date d’écriture: 2014

Une réflexion au sujet de « Le Léviathan »

  1. Dans cette histoire-là, je me suis demandé comment un être entièrement extérieur à l’humanité nous verrait. L’incompréhension de nos mœurs étranges, la différence de valeurs, de longévité…

    Dans le même registre, une blague récemment entendue qui m’a à la fois fait rire et réfléchir : deux extra-terrestres découvrent la Terre. Le premier s’exclame : « Je viens de découvrir une espèce qui a une technologie de pointe ! Ils ont même des missiles thermonucléaires à guidage laser ! » Le second répond : « Super, on a enfin trouvé une espèce intelligente alors ! » Mais le premier, en regardant de plus près, corrige : « Oh… en fait, non, je ne pense pas : ils ont pointé leurs missiles vers eux-mêmes. »

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