De l’autre côté du miroir

Quand je me suis réveillé, j’étais mort. Mon corps reposait sur une dalle, à la morgue. Un peu raide, une plaie béante liée à l’accident. Mais en dehors de ça, parfaitement fonctionnel. J’ai pu me lever, aller me voir dans le miroir, et c’est là que j’ai réalisé ce que j’étais devenu. Un non-vivant. Un porteur de germes. En un mot, un zombie.

J’ai tout de suite eu une crise de panique. Est-ce que c’était bien moi, cet être hagard et contusionné qui me renvoyait mon regard, de l’autre côté du miroir ? Pourquoi je n’étais pas au ciel ? Est-ce que j’allais contaminer toute l’humanité ? Que penseraient mes amis en me voyant ? Et bon sang, pourquoi, pourquoi mon cœur ne bat-il pas la chamade alors que je suis paniqué ?!

Oh… évidemment. Je suis mort. Le cœur des morts ne bat plus, en général. Et pas besoin de respirer non plus. J’ai appuyé un doigt sur mes blessures. Aucune sensation de douleur. Pas d’envie particulière de mordre les vivants. Un bon point, ça. Alors, c’était ça, être mort ? La vie, hhmmm, non-vie, sans besoins ni douleur ? Plutôt pas mal en fin de compte. Mais combien de temps mon corps tiendrait-il ainsi ? Pourquoi moi ? Qu’étais-je sensé faire ?

 

Trop de questions sans réponses. J’ai fouillé un peu, trouvé des blouses dans un placard, me suis habillé. J’ai cassé une fenêtre et suis sorti (non, la mort n’a pas fait de moi un vandale, c’est juste que la morgue est fermée de nuit et que honnêtement, je ne tenais pas à devoir expliquer ma condition aux employés au petit matin). Quand le soleil s’est levé, j’ai soupiré de soulagement en constatant que ses rayons ne me brulaient pas. Non pas que j’aie prévu d’aller bronzer à la plage, mais ne se déplacer que la nuit aurait vite été des plus déprimant. Bref, je suis allé à la bibliothèque et j’ai dévoré tous les livres de mort-vivants jusqu’à la fermeture. Et encore, et encore, plusieurs jours d’affilée.

J’ai appris plein de choses parfois contradictoires. Les zombies sont une métaphore de la vieillesse et la dégénérescence physique qui l’accompagne, de la maladie, de la contagion. Une métaphore, tu parles, je suis bien réel. Ou alors, les zombies sont une réplique imparfaite de la résurrection, et les inconvénients liés à cette condition sont une punition de Dieu pour les impies qui ont tenté de réaliser ce que Lui seul peut faire. Je veux bien, mais j’ai demandé à personne de me ramener ici moi. Les zombies sont le résultat d’une expérience top-secrète menée en sous-main par le gouvernement américain, dans le but d’en faire une arme biologique à taux de propagation extrêmement rapide. J’ai regardé autour de moi. Si le gamin de 15 ans qui lisait son manga à la table voisine était un agent de la CIA, il cachait rudement bien son jeu. Et jusqu’à présent, je n’avais contaminé personne. Bref, j’ai appris beaucoup, sauf ce qui m’intéressait vraiment : pourquoi. Alors je suis sorti dans le vaste monde non-vivre ma non-vie, et voir si ça m’apporterait des réponses.

C’est là que j’ai découvert quelque chose de… perturbant. J’ai déjà dit que je ne ressentais pas la douleur. Eh bien, je ne ressentais pas le plaisir physique non plus. Difficile de mener une non-vie épanouissante dans ces conditions. Je veux dire, le plaisir intellectuel est intact. J’ai (mentalement) frissonné de joie en découvrant de nouvelles épaves sous-marines (pratique de ne pas avoir à respirer pour explorer les grand-fonds !). J’ai exulté en sauvant un alpiniste de la mort au sommet de l’Himalaya (ironique pour quelqu’un dans mon état, non ?!). Mais aucune sensation physique. C’était tout dans ma tête.

 

Alors j’ai connu une grande période de mou, où j’ai tout essayé. Tout. L’alcool, les poisons, les drogues les plus dures sur le marché. Aucun effet. Rien. Néant. Circulez, il n’y a rien à voir. Et de fil en aiguille, je me suis retrouvé dans ce rade au milieu des junkies, perdu, profondément déprimé de ce vide absolu de sensations. J’étais au fond du trou (sans mauvais jeu de mots), je n’ai pas même bronché quand il a convulsé. Et j’avoue, j’étais curieux de voir à quoi ressemblait la mort, la vraie. Malsain ? C’est certain. Mais dans ma condition, on peut facilement perdre de vue les notions de bien et de non-bien. Bref, je l’ai regardé jusqu’à ce qu’il meure d’overdose. Et c’est là que ça m’a pris, une douleur atroce dans l’ensemble de mon corps. Oui, une douleur physique. La première sensation depuis mon réveil à la morgue. Ça m’a rappelé… avant, juste avant. L’accident. J’avais ressenti ça pendant l’accident.

Quand je me suis remis, j’ai fui les secours qui voulaient m’hospitaliser d’urgence (plus de pouls, sans blague ?!) et j’ai fouillé dans mon passé. Pas facile après quelques décennies (eh oui, j’ai non-vécu un certain temps), mais j’ai finalement retrouvé une vieille coupure de presse relatant l’accident. « Un chauffard ivre roule à contre-sens et provoque un accident de bus, 23 morts ». Je vous laisse deviner qui était le chauffard. Je me suis souvenu de la satisfaction intense que j’avais ressentie en sauvant l’alpiniste, et j’ai compris pourquoi j’étais là. Pour réparer mes torts, autant que faire se peut. Il me fallait sauver vingt-trois vies (ou peut-être vingt-deux, si on considère que la mienne ne vaut pas grand-chose après ce que j’ai fait), et alors avec un peu de chance Dieu, ou l’univers, ou quelque entité supérieure qui m’avait placé là, me ramènerait en son sein.

 

J’en suis à vingt-et-un. A chaque vie sauvée, je sens mon âme plus sereine, et plus… détachée de ce monde. Je sais que je suis proche de ma rédemption. Et c’est pour ça que j’écris ces mots, pour tous les non-vivants qui viendront ensuite. J’ignore ce qui vient après, mais ce que je sais, c’est qu’il n’y a rien de pire que d’errer en cette terre sans y connaitre sa place.

 

Date d’écriture: 2017

Une réflexion au sujet de « De l’autre côté du miroir »

  1. Tant qu’on reste dans les histoires de mort-vivants : après les vampires, les zombies. 🙂

    Je suis parti du stéréotype du zombie qui erre dans les rues, la bave aux lèvres, les bras en avant, en quête d’un vivant à infecter ou dévorer, et je me suis donné comme défi d’en rendre mon personnage aussi éloigné que possible. Et voilà ce que ça a donné.

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