Le prêtre, se reposant à l’ombre du grand chêne, sentait plus lourdement le poids de ses péchés qu’il ne le faisait d’ordinaire. Il avait été mercenaire en ses jeunes années, avait tué sans merci femmes et enfants sur son passage, avant que l’horreur de ses actes ne le pousse à rencontrer Dieu. Mais ces crimes étaient lointains, consommés. Nul doute qu’au Jugement Dernier, ces vies pèseraient sur la balance divine, et Christobal accepterait alors sa condamnation sans rechigner. Non. Le péché qui le préoccupait était bien plus récent et plus subtil.
Christobal avait, deux décennies auparavant, accueilli une jeune orpheline nommée Iasmin en sa demeure. Il lui avait fourni la protection et l’amour dont ses parents ne pouvaient plus témoigner. Il l’avait éduquée dans les préceptes de sa foi, et Iasmin s’était révélé être une digne fille de l’Église. C’est sa foi même qui l’avait tuée. Son refus d’utiliser une protection, acte contraire aux enseignements de Christobal. Une protection n’empêchait-elle pas la conception de nouvelles brebis à guider dans les bras de Dieu ? Et aujourd’hui, après une longue lutte contre la maladie, Iasmin était morte. La mort, Christobal le réalisait à présent, était un état plus nuisible encore à la conception.
Le prêtre, examinant la longue chaîne des événements qui avaient conduit à cet instant, voyait maintenant avec une clarté surnaturelle sa responsabilité dans l’orientation qu’ils avaient pris. Nul doute qu’une telle révélation lui venait de Dieu en personne. La vision était trop nette pour appartenir à ce monde. Et de cette impitoyable clarté naissait toute sa souffrance. Avait-il réellement tué sa propre fille ? Dieu exigeait-il de ses fidèles serviteurs un tel sacrifice ?
De toute évidence, pas le Dieu qu’avait rencontré Christobal. Ce Dieu n’aurait pas souhaité qu’une créature aussi pure que Iasmin donne sa vie pour procréer, Christobal le ressentait au plus profond de son âme. Où qu’il regarde, Dieu écrivait en lettres de feu un message d’amour, un message où la vie de ses enfants primait sur toute autre considération. Et comme il n’existait qu’un seul Dieu, Christobal devait conclure que le reste de son ordre faisait fausse route.
Il regarda vers l’avant et vit son avenir tout tracé. Il porterait ce message à sa congrégation, déclencherait la colère de l’archevêque ce-faisant. L’archevêque était un homme bon, mais il n’avait jamais connu une douleur aussi intense que celle de Christobal, et de ce fait, il n’avait jamais reçu la voix de Dieu avec une telle clarté. L’archevêque, donc, s’opposerait à lui jusqu’à l’excommunication. Christobal perdrait ainsi le respect de sa nouvelle famille spirituelle. Mais sa voix porterait le message divin – le peuple l’entendrait et adhérerait peu à peu à ses paroles. Alors le canon de l’Église changerait enfin, sauvant des millions de Iasmin d’une mort certaine. Rien de tout cela ne se passerait du vivant de Christobal, bien entendu – lui ne subirait que douleur et rejet pour avoir critiqué le dogme.
Un juste châtiment pour ses crimes passés, jugea le prêtre. Et il se leva pour faire les premiers pas sur ce nouveau chemin.
Date d’écriture: 2018