Vulgarisation : la chloroquine, ils en disent quoi les scientifiques ?

Je me permet, exceptionnellement, de publier ici sur un sujet qui n’a rigoureusement rien à voir avec l’objectif premier de ce site. Essentiellement parce que je n’ai pas trop d’autre voie de communication qui puisse, potentiellement, être efficace pour la rediffuser. Bref. Que ceux qui ne veulent que des histoires s’abstiennent de lire ce post. Pour cette fois, je vais parler de la vraie vie.

Ces jours-ci, on n’entend plus parler QUE de la chloroquine. Entre ceux qui prétendent que le gouvernement a main dans la main avec big pharma et rejette ce médicament parce qu’il ne coûte pas assez cher, ceux qui disent que la chloroquine a des effets secondaires si violents que le remède est pire que le mal, ceux qui critiquent la personnalité ou l’aspect du docteur Raoult et ceux qui préconisent de rendre massivement disponible la substance juste au cas où ça marche vraiment, difficile de savoir où donner de la tête.

Chloroquine.svg

Formule chimique de la chloroquine.

Aujourd’hui, on va s’intéresser à ce qui devrait être la SEULE vraie question : la chloroquine, qu’est-ce qui nous dit que ça marche contre le coronavirus, bordel ?! Au risque de spoiler : pour l’instant, pas grand-chose. Ça marche peut-être, ou peut-être pas, on sait pas trop. Tout ce qu’on a, c’est des trucs encourageants. Pas de preuve. Bon, voyons dans le détail (alerte : je suis loin d’aller au fond des choses, mais on va quand même aller beaucoup, beaucoup dans le détail… autant dire, il y a pas mal de lecture devant vous).

La littérature scientifique

Alors là-dessus, je vais procéder par ordre chronologique… la situation évolue vite, j’essaierai de mettre à jour en fonction des nouvelles découvertes.

4 février 2020, première étude in-vitro                 On commence par une étude chinoise par Wang et al, publiée dans une lettre à l’éditeur dans le magazine scientifique Cell Research, nommée “Remdesivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro” [5]. Traduction : “le remdésivir et la chloroquine inhibent efficacement le nouveau coronavirus émergent (2019-nCoV) in vitro”.

Il est normal de commencer par des cultures in-vitro pour confirmer l’efficacité d’un médicament – ça ne coûte pas cher et ne met pas en danger des vies humaines. Le hic, c’est qu’il n’y a aucune garantie qu’un traitement qui marche in-vitro marche dans la vraie vie. Le traitement peut être dangereux pour les patients, comme l’illustre le dessin ci-dessous. Ou il peut tout simplement ne pas marcher dans le corps humain, où mille facteurs sont différents de ce qui se passe dans une boîte de Pétri. En bref, tout ce que dit cette étude, c’est « ça vaut le coup de s’intéresser à cette molécule », en aucun cas « c’est bon, eurêka, on a trouvé la solution au coronavirus ».

cells

Traduction : quand vous voyez une affirmation selon laquelle un médicament d’usage courant ou une vitamine « tue les cellules cancéreuses dans une boite de Pétri », souvenez-vous : un flingue le peut aussi (source: xkcd).

On notera aussi que c’est une lettre à l’éditeur. Ça veut dire que le travail présenté n’a pas nécessairement été revu et corrigé par des scientifiques indépendants – en tant que tel, ce n’est donc PAS un article scientifique validé par la communauté. Par contre, ça présente l’avantage de ne pas à avoir à attendre les corrections avant d’être publié. Ouais, bon. Si ça peut donner des pistes de recherche aux chercheurs du monde entier, pourquoi pas.

19 février 2020, première étude clinique chinoise           Les scientifiques qui ont fait l’étude in-vitro sont bien entendu conscients que ça ne suffit pas. Cette première étude a donc été suivie par un essai clinique, publié dans une lettre nommée “Breakthrough: Chloroquine phosphate has shown apparent efficacy in treatment of COVID-19 associated pneumonia in clinical studies” [6]. Traduction : “une percée: la chloroquine phosphate a montré une apparente efficacité dans le traitement de la pneumonie associée au COVID-19 dans des essais cliniques”.

En voici le résumé traduit par mes soins :

La maladie du coronavirus de 2019 (COVID-19) se répand rapidement, et les scientifiques recherchent activement des substances pouvant le traiter efficacement en Chine. Il a été montré que la chloroquine phosphate, une ancienne substance impliquée dans le traitement de la malaria, présente une efficacité apparente et un niveau de risque acceptable dans le traitement des pneumonies dues au COVID-19 lors d’essais cliniques conduits dans plusieurs centres médicaux chinois. Il est recommandé d’inclure cette substance dans les recommandations officielles pour la « Prévention, le Diagnostic et le Traitement des Pneumonies Causées par le COVID-19 » émanant de la commission nationale de santé de la république populaire de Chine, pour le traitement de l’infection par le COVID-19 dans des populations plus larges dans le futur.

Voilà qui semble prometteur. En lisant l’article, on constate qu’ils ont testé la chloroquine phosphate sur « plus de cent patients », bien que le nombre exact ne soit pas donné. Pas plus que des données sur les patients, le protocole utilisé, ou… attendez, c’est quoi ce truc ?

En fait, ce n’est tout simplement pas un article scientifique. La lettre fait une page et ne contient que très peu d’informations au-delà de ce que j’ai traduit. Donc, en gros, on a des scientifiques qui affirment que la chloroquine, ça le fait contre le COVID-19, sans avancer la moindre preuve à l’appui. Euh… sérieux ?! La science, ça marche pas comme ça. On publie pour partager les connaissances. Sans éléments probants, ça n’a aucune valeur de preuve. En gros, ce qu’il faut retenir de l’article, c’est encore une fois que la piste de la chloroquine semble intéressante. Mais on n’a toujours rien qui ne permette de conclure dans un sens ou dans l’autre.

17 mars 2020, première étude clinique française             Avec le temps, la France commence à être sévèrement touchée et les chercheurs français s’attaquent à leur tour au problème. Dans ce contexte, une équipe dirigée par le professeur Raoult sort une étude clinique portant sur 26 patients atteints du coronavirus, nommée “Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial” [7]. Traduction : “l’hydroxychloroquine et l’azithromycine comme traitement du COVID-19: résultats d’une étude clinique à essais ouverts et non-randomisés”.

Le preprint (sorte de brouillon quasi-finalisé) sort le 17 mars, et la version officielle du papier sort le 20 mars. Une vidéo sort un jour plus tôt, le 16 mars, annonçant triomphalement la fin de partie pour le COVID-19 [4]. De quoi susciter l’intérêt, des médias bien sûr, mais aussi et avant tout de la communauté scientifique.

Et là, parmi les scientifiques, on est très, très loin de l’enthousiasme débridé qu’ont certains journaux. L’étude parait, à tout le moins, très faible. Je liste ici les points les plus perturbants remarqués par la communauté scientifique [1]. Pas tous, sinon ça ressemblerait à de l’acharnement, mais il y en a déjà pas mal comme ça. A noter : je m’étale plus sur cette étude que sur les autres, parce que c’est elle qui reçoit le plus d’attention (surtout médiatique) en ce moment, et que c’est la première étude clinique à communiquer des données chiffrées à l’ensemble de la communauté, au moins à ma connaissance.

  • Commençons par regarder comment ça se passe pour les 26 patients qui ont été traités dans le cadre de l’étude :
    • Sur les 26, il y en a 6 ont été écartés [7]. 3 parce qu’ils ont été admis en soins intensifs, 1 parce qu’il est mort, 1 parce qu’il a décidé d’arrêter le traitement du fait d’effets secondaires trop violents, et 1 parce qu’il a quitté l’hôpital (à cause des effets secondaires ? peu clair).
    • Première constatation : les effets secondaires ne peuvent être minimisés. Si on considère le nombre de patients comme statistiquement fiable (ce qu’il n’est pas), on a entre 4 et 8% qui ne supportent pas le traitement. C’est loin d’être la majorité, mais ce n’est pas non plus négligeable.
    • Deuxième constatation : 20 patients retenus, c’est très, très peu. L’organisation mondiale de la santé prétend que le COVID-19 a un taux de mortalité autour de 3% [9]. Sur 20 patients, en supposant que le traitement ne marche absolument pas et ne diminue pas le taux de mortalité (pire cas de figure), ces 3%, ça devrait faire… 0,6 morts. Oui, moins d’un mort en moyenne. Autant dire que 20 patients, c’est pas assez pour tester le taux de mortalité. En gros, 20 patients, ce n’est pas un nombre assez grand pour être statistiquement fiable.
    • Une des plus grosses critiques : pourquoi, POURQUOI, retirer de l’étude les six patients qui posent le plus problème ? [1] Ils devraient, en toute logique, être considérés comme des échecs. Si le traitement n’empêche pas de mourir (1 patient) ou n’empêche pas la maladie de s’aggraver au point de devoir recourir aux soins intensifs (3 patients), alors c’est qu’il ne marche pas si bien ! Et du coup, bien évidemment, si on omet tous les patients qui ne supportent pas le traitement ou meurent, comme les auteurs l’ont fait, l’étude est complètement faussée. Pour faire caricatural, si je retire tous les patients dont le cas s’aggrave lors du traitement (fort heureusement, l’étude ne va pas jusque-là), je peux facilement affirmer que le traitement améliore l’état de 100% des patients restants. Mais bien évidemment, ça n’apporte rigoureusement rien au problème.
  • La fiabilité des tests est fort douteuse. En effet, parmi les 26 patients, certains ont été testés négatif un jour (c’est-à-dire, plus malades), puis ont de nouveau été testés positifs le lendemain (c’est-à-dire, de nouveau malades) [7]. La conclusion la plus probable, c’est que les tests qui ont été réalisés ne marchent pas de manière fiable [1].
  • Le groupe témoin comporte 16 patients. Ce groupe témoin, c’est un groupe de patients qui sont suivis par le personnel médical mais ne reçoivent aucun traitement. Le but est de les comparer aux patients qui reçoivent un traitement ; si les 16 témoins s’en sortent moins bien que les 20 traités, on peut raisonnablement espérer que c’est parce que le traitement fonctionne. Et pour pouvoir les comparer, il faut que mis à part le traitement, leurs conditions soient identiques. Sauf que dans cette étude, les témoins étaient dans un hôpital et les patients traités dans un autre. Les tests étaient-ils les mêmes ? Le suivi aussi sérieux ? Impossible à dire [1].
  • Il y a aussi des trucs… bizarres sur les dates. L’étude est sortie le 17 mars. Elle affirme avoir suivi certains patients sur une durée de 14 jours. Sauf qu’il se trouve que l’étude n’a été autorisée qu’à partir du 7 mars, ce qui fait qu’elle n’a pas pu durer plus de 10 jours [1]. Alors il y a plusieurs possibilités. Soit ils ont intégré des données médicales collectées avant, ce qui veut dire qu’ils ont pris en compte des informations sans savoir si elles étaient fiables – le contraire de ce que DOIT faire une étude clinique. Soit c’est une faute de frappe, sans doute l’hypothèse la plus charitable. Soit ils ont commencé l’étude clinique sans autorisation, ce qui témoignerait d’un mépris total des règles d’éthique et de sécurité. Dans tous les cas, ça ne sent pas très bon.

Donc, avec tous ces défauts, que peut-on conclure de l’étude ? Malheureusement, pas grand-chose de plus que ce qu’on avait avant : on a l’impression que la chloroquine, c’est une piste intéressante, mais avec tant de cafouillages, on ne peut pas vraiment arriver à la moindre conclusion formelle.

18 mars 2020, une étude in-vitro sur l’hydroxychloroquine        L’hydroxychloroquine, c’est le parent moins violent de la chloroquine : mêmes bénéfices a-priori, mais moins d’effets secondaires. Il semble donc légitime que les chercheurs s’y intéressent. L’équipe qui a publié la première étude in-vitro se remet à la tâche et envoit une seconde lettre à l’éditeur dans le magazine scientifique Cell Discovery, nommée “Hydroxychloroquine, a less toxic derivative of chloroquine, is effective in inhibiting SARS-CoV-2 infection in vitro” [8]. Traduction : “l’hydroxychloroquine, dérivé moins toxique de la chloroquine, est efficace pour inhiber l’infection de SARS-CoV-2 in vitro”.

Aux mêmes maux les mêmes remèdes : leur travail constitue une excellente base de départ, mais des cultures in-vitro ne peuvent toujours pas prouver que ça marchera sur l’homme. Là encore, la conclusion à en tirer est : « ça vaut le coup de fouiller dans cette direction » (vous commencez à avoir l’habitude de ce message, non ?).

25 mars 2020, seconde étude clinique chinoise        Le 25 mars, une seconde étude clinique publiée par une équipe chinoise sort, nommée “A pilot study of hydroxychloroquine in treatment of patients with common coronavirus disease-19 (COVID-19)” [11]. Traduction : “une étude pilote de l’hydroxychloroquine dans le traitement des patients atteints de coronavirus commun-19 (COVID-19)”.

Ses résultats : au septième jour, le groupe traité à l’hydroxychloroquine s’en sort aussi bien que le groupe qui n’a reçu aucun traitement (86,7% de guéris dans le groupe traité et 93,3% dans le groupe non-traité, la différence en faveur du groupe non-traité n’étant pas significative). On pourrait hâtivement en conclure que l’hydroxychloriquine ne sert à rien, ce que les auteurs ne font pas.

Et à juste titre. La méthodologie a beau être plus sérieuse que celle de l’étude co-signée par le professeur Raoult, elle n’en souffre pas moins d’un de ses défauts : le nombre de patients testés est là encore trop limité pour vraiment conclure (ils travaillent sur une cohorte de seulement 30 patients, avec 15 traités et 15 non-traités). C’est au plus un indice qu’on s’est peut-être emballé un peu vite avec la chloriquine et l’hydroxychloriquine, tous comme les résultats précédent étaient des indices encourageants. Mais ce n’est en aucun cas une preuve.

27 mars 2020, une nouvelle étude in-vitro française        Le 27 mars sort une nouvelle étude in-vitro publiée par l’équipe française, sous la tutelle et co-signée par le professeur Raoult. Elle est nommée “In vitro testing of hydroxychloroquine and azithromycin on SARS-CoV-2 shows synergistic effect” [12]. Traduction : “les tests in-vitro de l’hydroxychloroquine et l’azythromicine sur le SARS-CoV-2 montrent des effets de synergie”.

Et donc… une étude in-vitro de plus. Mais une étude in-vitro ne peut, toujours et définitivement, rien prouver sur ce qui se passe dans le corps humain. Les contributions de cet article sont donc limitées : d’après leurs auteurs, les deux substances marchent mieux ensemble dans un tube à essais. C’est un bon point de départ, mais il reste à le prouver dans le corps humain.

A noter : cet article n’a pas été publié dans une revue scientifique à ma connaissance. Donc aucun chercheur ne l’a relu avant qu’il ne paraisse. Il a simplement été mis à disposition sur le site de l’IHU de Marseille.

27 mars 2020, une nouvelle étude clinique française        Le 27 mars également, une nouvelle étude clinique publiée par l’équipe française est mise à disposition sur le site de l’IHU de Marseille, à nouveau co-signée par le professeur Raoult. Elle est nommée “Clinical and microbiological effect of a combination of hydroxychloroquine and azithromycin in 80 COVID-19 patients with at least a six-day follow up: an observational study” [13]. Traduction : “les effets cliniques et microbiologiques d’une combinaison d’hydroxychloroquine et d’azythromicine sur 80 patients atteints par le COVID-19 avec un suivi d’au moins 6 jours : une étude observatoire”.

Ah ! Le nombre de patients testés grandit, on en est à 80 personnes ! On va donc enfin pouvoir en déduire quelque chose ! C’est avec une grande lassitude que je dois dire que… non. Toujours pas. En cause : leur étude ne comporte pas de groupe témoin, ce fameux groupe qui se trouve dans les mêmes conditions que les patients traités mais qui reçoit un simple placébo, qui va servir de référence pour savoir si on fait mieux ou pas que sans traitement. En toute honnêteté, à la lecture de leur article, je m’agace qu’un tel b.a.-ba scientifique ait de nouveau été complètement foulé aux pieds, et je commence à me demander s’ils produiront jamais quelque chose de scientifiquement pertinent [10].

Bref. Voilà leurs résultats : sur 80 patients traités, une personne est morte, une a été admise en soins intensifs, et les autres ont récupéré, ce qui fait 2,5% d’évolutions négatives. C’est plutôt peu. A ce jour (29/03/2020), sur les 496996 patients qui ont été détectés comme étant infectés, 25377 sont dans une condition sévère ou critique, soit 5,1% [14]. L’équipe française obtient des résultat légèrement meilleurs, donc, mais ce n’est pas fou non plus. En particulier parce que ça ne se joue qu’à deux patients près ; le facteur hasard reste donc important. N’empêche : on a de nouveau un indice qui dit que ça semble encourageant.

30 mars 2020, troisième étude clinique chinoise      Une nouvelle étude clinique sur le traitement à l’hydroxychloroquine de patients atteints de formes bénignes du coronavirus est mise, le 30 mars 2020, à disposition sur le site medRxiv. Elle est nommée “Efficacy of hydroxychloroquine in patients with COVID-19: results of a randomized clinical trial” [15]. Traduction : “efficacité de l’hydroxychloroquine sur des patients atteints par le COVID-19 : résultats d’un essai clinique randomisé”.

Un bémol d’abord, le preprint n’a pas été relu par d’autres scientifiques avant de paraître sur medRxiv (c’est tout le principe de ce site, si j’ai bien compris, mais je ne suis pas trop familier avec celui-là). Bon, si ça accélère la diffusion des informations, pourquoi pas.

Et donc, à la lecture de leur article, j’ai envie de dire enfin, ENFIN, une étude plutôt concluante qui tient la route ! Ils ont mené leur étude sur 62 patients atteints du coronavirus, dont aucun ne présentait de symptômes graves à l’admission. Ils les ont aléatoirement séparés, 31 dans un groupe traité à l’hydroxychloroquine et 31 dans un groupe témoin (vous connaissez maintenant le principe). Quelques résultats : sur les quatre patients qui ont progressé vers un état grave, tous faisaient partie du groupe témoin, et les symptômes de toux et de fièvre ont plus rapidement disparu dans le groupe traité à l’hydroxychloroquine que dans le groupe témoin.

On peut regretter que la cohorte reste faiblarde, et il faut noter que deux des patients traités ont souffert d’effets secondaires (maux de tête pour un, éruptions cutanées pour un autre). Mais dans l’ensemble, ça commence à sentir bon !

L’avenir : des études cliniques de plus grande ampleur  Bon, donc, il y a plein indices qui laissent à penser que la chloroquine et sa cousine, l’hydroxychloroquine, peuvent aider. Malheureusement, l’absence de plus d’éléments probants, c’est trop tôt pour crier victoire. Alors, on fait quoi ? Ben, on refait ce que les premières études essayaient de montrer, mais ce coup-ci, de manière correcte (ou au moins, on peut l’espérer). On fait des grands tests cliniques un peu partout dans le monde, avec la chloroquine et d’autres substances aussi prometteuses, si ce n’est plus, et on voit ce que ça donne. Ça se passe en ce moment (ou est sur le point de se produire) en Corée du Sud, en Thaïlande, au Royaume-Uni, en France… à suivre, donc ! En Europe, l’étude Discovery a commencé le 22 mars et devrait durer 14 jours.

Un peu de débunkage…

… parce que la désinformation fleurit joyeusement en ces temps de crise.

Les effets secondaires de la chloroquine, c’est un truc de ouf !   Ben oui, il y a des effets secondaires. Comme pour toute substance chimique. Même un truc connu de tous comme le doliprane a des effets secondaires indésirables. Bien sûr, pour la chloroquine, c’est un peu plus lourd que pour le doliprane [2], mais ça semble rester gérable si on fait attention et qu’on suit l’avis du médecin.

Big pharma et le gouvernement Macron, même combat !            Ben oui, big pharma fait du lobbying, donc ils ont (au moins un minimum) l’oreille du gouvernement. Après, aller jusqu’à dire que le gouvernement est un pantin à leur solde, ça parait douteux [10]. Si c’était le cas, big pharma n’aurait plus besoin de faire du lobbying, justement. A ce train-là, les ONG aussi font du lobbying [3] (une différence notable est qu’elles le font pour l’intérêt public plutôt que pour des intérêts privés).
Bon, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : je juge que la gestion de la crise par le gouvernement est globalement déplorable [10]. Simplement, j’irais plus taper sur l’invraisemblable pénurie de masques et de moyens pour le personnel hospitalier que sur la réaction du gouvernement vis-à-vis de la chloroquine.

Le professeur Raoult, c’est un guignol, t’as vu sa tête ?  Non. Non. NOOOOON ! Si on pouvait arrêter un peu avec l’apparence des gens et juste écouter ce qu’ils ont à dire, ça serait un bon début [10]. En l’occurrence, le professeur Raoult a une sacrée carrière derrière lui, c’est clairement un expert reconnu dans son domaine. Je pense pas que ceux qui se focalisent sur sa coupe de cheveux aient le dixième de son bagage scientifique, mais après tout, peut-être que je m’avance un peu.

Le professeur Raoult, c’est un expert, alors il a forcément raison !            Non. Non. NOOOOON ! Si on pouvait arrêter un peu avec les arguments d’autorité et juste regarder les faits, ça serait un bon début [10]. Nul doute que le professeur Raoult soit un expert, mais des experts qui se plantent lamentablement, on en a des tonnes dans l’histoire des sciences. Le ratage le plus connu, c’est bien sûr Einstein et sa constante cosmologique, parce qu’il refusait l’idée que l’univers soit en expansion (ce qui sera finalement prouvé par Hubble, et Einstein reconnaîtra alors son erreur). Mais on pourrait aussi reparler de Becquerel qui a bossé sur le rayon N (jamais entendu parler ? normal, ça n’existe pas), entre autres grands noms. Alors regardons un peu ce qu’il dit au lieu de s’arrêter à son nom et à ses décorations.

Bah même si on est pas sûr que la chloroquine marche, faut bien tenter quelque chose !            Oui, pourquoi pas. Mais autant le faire intelligemment. Scénario hypothétique : sous la pression médiatique et populaire, on investit massivement dans la production de chloroquine et/ou d’hydroxychloroquine. Quelques semaines plus tard, on se rend compte que ça marche un peu, mais pas plus que ça (ou pire encore, pas du tout). Dans le même temps, des pays voisins, plus malins, ont attendu de trouver le bon cheval avant de parier tout ce qu’ils avaient dessus, et développent maintenant un autre remède qui lui est vraiment efficace. Bilan : des morts par milliers en France, qu’on aurait pu éviter en étant moins cons ou au moins, plus prudents [10]. Bref, avant de se précipiter tête baissée vers une solution, vérifions qu’elle marche ! (et c’est peut-être bien le cas)

Franchement, autant d’études, même bâclées ou pas publiées dans le détail, qui sont enthousiastes pour la chloroquine, ça montre bien qu’il y a quelque chose, non ?         Ben… pas vraiment. Un optimiste pourrait défendre ce point de vue : autant de gens en faveur de la chloroquine, y compris des poids-lourds du domaine, ça veut forcément dire quelque chose. Mais si on a envie, on peut aussi être pessimistes aussi retourner le point de vue : si même des poids-lourds du domaine n’ont pas été capables, après plusieurs études, de prouver que ça marche, c’est que ça ne marchera pas, non ? Et là aussi, pas vraiment. La vérité, c’est que deux-trois études mal ficelées ou non-communiquées sur un petit nombre de patients, ça vaut pas grand-chose [10]. Il faut attendre les essais cliniques d’ampleur, en espérant que ce coup-ci ils ne les foirent pas avec des erreurs de méthodologie et qu’ils communiquent dessus de manière transparente, pour en savoir plus.

Qui je suis

Je parle (ou j’écris) beaucoup, mais au fond, c’est quoi ma légitimité à parler d’un traitement pour le COVID-19 ?

Je baigne dans le jeu scientifique depuis des années, mais je n’ai RIEN d’un médecin, et encore moins d’un expert sur le sujet. Mon contact le plus proche avec le milieu, c’est sûrement quand j’ai fait une prépa bio. Bof.

Par contre, j’ai fait une thèse… alors faire une recherche scientifique, lire des articles en anglais, les synthétiser, ça je sais faire. C’est aussi pour ça que je ne fais quasiment que citer des gens dans cet article. Quand j’apporte ma contribution, c’est avant tout pour vulgariser, pas apporter un avis d’expert.

Alors OK, le ton n’est pas neutre. J’exprime aussi mon avis. Mais j’espère être moins biaisé que bon nombre de publications que j’ai pu lire ces derniers jours, dans les médias et les réseaux sociaux.

Les sources

Dans l’article, quand vous voyez [X] dans le texte, ça veut dire que je me base sur la source X pour affirmer ce que je dis. Une seule exception : la balise [10] indique que c’est mon avis personnel, pas un truc que soutiennent les experts. Vous noterez qu’elle apparaît essentiellement dans la partie débunkage.

Et sur ce, toutes les sources sont là en dessous :

  1. Peer-pub (espace librement accessible où les scientifiques du monde entier peuvent lire et commenter les publications des autres scientifiques) sur l’article co-signé par le professeur Raoult : https://pubpeer.com/publications/3B1F9EAD4982C64445A60F5E83CCFE
  2. Notice patient de la Nivaquine, accédé le 25/03/2020 : http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr/affichageDoc.php?specid=65130778&typedoc=N
  3. Enquête sur les lobbies: https://webdoc.france24.com/enquete-lobbies-france-hulot-fabrique-loi-macron/chapitre-1.html
  4. Le Monde, “Coronavirus : huit questions sur l’hydroxychloroquine, possible traitement du Covid-19”, accédé le 25/03/2020 : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/03/24/huit-questions-sur-l-hydroxychloroquine-possible-traitement-du-covid-19_6034290_4355770.html
  5. WANG, Manli, CAO, Ruiyuan, ZHANG, Leike, et al. Remdesivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro. Cell research, 2020, vol. 30, no 3, p. 269-271. https://www.nature.com/articles/s41422-020-0282-0
  6. GAO, Jianjun, TIAN, Zhenxue, et YANG, Xu. Breakthrough: Chloroquine phosphate has shown apparent efficacy in treatment of COVID-19 associated pneumonia in clinical studies. BioScience Trends, 2020. https://www.jstage.jst.go.jp/article/bst/advpub/0/advpub_2020.01047/_pdf/-char/en
  7. LIU, Jia, CAO, Ruiyuan, XU, Mingyue, et al. Hydroxychloroquine, a less toxic derivative of chloroquine, is effective in inhibiting SARS-CoV-2 infection in vitro. Cell Discovery, 2020, vol. 6, no 1, p. 1-4. https://www.nature.com/articles/s41421-020-0156-0
  8. GAUTRET, Philippe, LAGIER, Jean-Christophe, PAROLA, Philippe, et al. Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial. International Journal of Antimicrobial Agents, 2020, p. 105949. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0924857920300996
  9. Remarques d’ouverture du directeur général de l’OMS aux médias, débriefing du 3 mars 2020, accédé le 25/03/2020 : https://www.who.int/dg/speeches/detail/who-director-general-s-opening-remarks-at-the-media-briefing-on-covid-19—3-march-2020
  10. Juste un peu de bon sens… enfin, là, c’est plus mon opinion que des faits, je suppose.
  11. CHEN Jun, LIU, Danping, LIU, Li, LIU, et al. A pilot study of hydroxychloroquine in treatment of patients with common coronavirus disease-19 (COVID-19). J Zhejiang Univ (Med Sci), 2020, 49(1): 0-0. http://www.zjujournals.com/med/EN/10.3785/j.issn.1008-9292.2020.03.03
  12. ANDREANIA, Julien, LE BIDEAU, Marion, DUFLOT, Isabelle, et al. In vitro testing of hydroxychloroquine and azithromycin on SARS-CoV-2 shows synergistic effect. Non-publié. Accédé le 29/03/2020 : https://www.mediterranee-infection.com/wp-content/uploads/2020/03/La-Scola-et-al-V1.pdf
  13. GAUTRET, Philippe, LAGIER, Jean-Christophe Lagier, PAROLA, Philippe, et al. Clinical and microbiological effect of a combination of hydroxychloroquine and azithromycin in 80 COVID-19 patients with at least a six-day follow up: an observational study. Non-publié. Accédé le 29/03/2020 : https://www.mediterranee-infection.com/wp-content/uploads/2020/03/COVID-IHU-2-1.pdf
  14. Worldometer coronavirus, accédé le 29/03/2020 : https://www.worldometers.info/coronavirus/
  15. CHEN, Zhaowei, HU, Jijia, ZHANG, Zongwei, et al. Efficacy of hydroxychloroquine in patients with COVID-19: results of a randomized clinical trial. Preprint available at medRxiv, 2020. https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.22.20040758v1

 

Ce post a été écrit le 25/03/2020. La situation évolue rapidement ; des éléments nouveaux sur la chloroquine apparaîtront sans nul doute à court terme, dans un sens ou dans l’autre.

Mise à jour du 27/03/2020 : ajout de l’étude chinoise parue le 25 mars 2020.
Mise à jour du 29/03/2020 : ajout des deux études françaises parues le 27 mars 2020.

Si vous remarquez des erreurs, n’hésitez pas à me le signaler, je mettrai à jour les informations.