Le Djinn

Il était un homme qui possédait un puissant djinn enfermé dans sa bouteille. Des années durant, l’homme avait réfléchi au vœu qu’il formulerait quand il l’invoquerait, sans jamais réussir à se fixer sur un seul de ses rêves. C’est pourquoi, quand il convoqua le génie, sa requête fut assez inhabituelle :
– Je veux pouvoir faire tous les vœux que je désire, ô djinn ! »

Le djinn réfléchit une seconde, sourit et accepta avant de rentrer dans sa bouteille. L’homme essaya aussitôt un vœu :
– Je veux être l’homme le plus riche du pays, que des monceaux d’or me recouvrent, que mes ennemis soient anéantis, que les femmes accourent vers moi, que les hommes m’envient et me jalousent, que… »

Mais comme sa liste s’allongeait, il s’aperçut que rien de tout cela ne se produisait. Furieux, il appela à nouveau le djinn :
– Mes vœux ne marchent pas ! Tu n’as pas fait ce que je t’ai demandé ! »

Le djinn ricana :
– Tu m’as demandé de pouvoir faire tous les vœux que tu voulais, tu n’as jamais dit qu’ils devaient s’exaucer ! »

Une génération plus tard. L’homme attendit des années que son fils ait atteint l’âge de raison et lui transmit la bouteille, en l’avertissant formellement de ne pas parler à la légère devant le génie. Son fils réfléchit longuement :
– Mon père a été vaniteux, il a voulu acquérir les pouvoirs que seuls les dieux et les esprits malins peuvent posséder. Mais moi, je n’ai pas besoin de tant de puissance. Je suis heureux avec ma femme et mon enfant, j’aime mes amis et je les vois souvent, j’ai tout ce que je peux désirer sauf les biens matériels. Oui, c’est bien là tout ce qui me manque ! »

Se sentant prêt, il appela à son tour le djinn et lui demanda :
– Je veux être riche, ô djinn ! »

Le djinn secoua la tête :
– La richesse est une notion toute relative, mon ami. Riche par rapport à quoi ? Par rapport à qui ? »

Pris de court, l’homme répondit :
– Je… je veux être plus riche que le roi lui-même ! »

Le djinn sourit en exauçant le vœu : à l’instant, un génial cambrioleur s’introduisit dans la salle des coffres royale et déroba tous les biens du monarque, qui s’en trouva ainsi être l’homme le plus pauvre du royaume.

Quand l’homme réalisa son erreur, il était trop tard pour faire marche arrière : son vœu exaucé, le djinn ne lui devait plus rien. Il regretta amèrement de ne pas avoir su imposer sa volonté au djinn, mais se consola bien vite auprès de ses proches et oublia un long moment cette maudite bouteille.

Et une nouvelle génération passa sur le pays. Quand l’homme fêta l’âge de raison de son fils unique, la bouteille magique lui revint à l’esprit. Son fils était ambitieux, trop ambitieux pour ses moyens limités, et… après tout, peut-être un soutien magique lui permettrait-il d’atteindre ses buts ? En ne sachant trop s’il faisait bien, il remit la bouteille à son fils en le mettant en garde contre la rouerie du djinn.

Son fils réfléchit quelque temps. L’idée de toute puissance de son grand père lui plaisait, mais lui ne commettrait pas la même erreur : il voulait des vœux qui se réalisent. Il convoqua à son tour l’esprit :
– Je veux le pouvoir d’exaucer n’importe quel vœu, ô djinn ! »

Le djinn sourit et exauça le vœu : il transforma le dernier de la famille en djinn pour qu’il puisse exaucer tous les vœux… mais ceux de ceux qui l’extirperaient de la bouteille, pas les siens !

La saga familiale s’arrête avec ce dernier descendant, fort heureusement pour les enfants qu’il n’eut jamais. Quant au djinn, ma foi, il se repose désormais dans sa bouteille : les gens ne sont pas fous et préfèrent invoquer le nouveau venu, moins imaginatif quand il s’agit de déformer leurs rêves !

 

Date d’écriture: 2005

4 réflexions au sujet de « Le Djinn »

    1. Ah ! Ironiquement, j’ai regardé pour la première fois Aladdin un an ou deux après avoir écrit cette histoire, quelle n’a pas été ma surprise de voir qu’ils avaient réussi à copier mon idée géniale avant même que je ne l’ai eue… N’empêche, ça ne s’annonce pas très bien pour le brevet que j’ai déposé sur ce scénario ! 🙂

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  1. C’est pour ça qu’il faut TOUJOURS être précis. Genre je veux 500 000 euros en billets de 50, 20 et 10…. Ah les humains, ils sont pas logiques 😀

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